La précédente note me donne le prétexte de rebondir sur le bleu de Matisse. C'est, je crois, peut être la première couleur à laquelle on associe spontanément l'œuvre de Matisse.
Dans ce tableau, Nu bleu I, réalisé en 1952 en papiers gouachés et collés sur papier blanc marouflé sur toile (Fondation Beyeler, Riehen/Bâle), Matisse dessine avec la couleur, voire sculpte la silhouette d'une femme aux lignes courbes d'un trait continu, "en dessinant aux ciseaux dans des feuilles de papier coloriées à l'avance, d'un même geste pour associer la ligne à la couleur, le contour à la surface" (1). Matisse dit d'ailleurs lui-même : "découper à vif dans dans la couleur me rappelle la taille directe des sculpteurs" (2).
"Si, dans les œuvres antérieures, les bleus de Matisse avaient presque invariablement été de nature spatiale, ils devenaient maintenant tangibles et d'un effet monolithique" (3). De plus, il se suffit à lui-même sans être opposé et donc mis en valeur, comme dans de nombreuses toiles, par le rouge et/ou le rose (voir la note précédente sur "Les Coucous") parce que ce bleu contient indéniablement du rouge.
C'est depuis que j'ai lu "Histoires de peintures" de l'historien d'art Daniel Arasse (voir la bibliographie) que j'ai fait cette découverte qui depuis m'apparaît avec évidence lorsque je vois des toiles de ce peintre. Je laisse parler Daniel Arasse : "par exemple, ce qui m'a bouleversé, dans l'esquisse pour La Danse de Matisse, c'était le bleu, ce bleu-là. Cette tonalité de bleu inventée par Matisse m'a bouleversé ... c'est après, en réfléchissant sur cette qualité de bleu, que je me suis dit que dedans il y a du rouge caché, et c'est ce rouge qui, depuis le bleu, m'appelle".
(1) André Verdet, "Entretiens avec Henri Matisse, dans Prestiges de Matisse, Paris, 1952
(2) Henri Matisse, "Ecrits et propos sur l'art", Paris, Hermann, 1972
(3) John Golding, catalogue de l'exposition Matisse-Picasso, "L'espace vibrant", septembre 2002