Alors qu’un vaste plan de soutien au secteur automobile est en train de se mettre en place et qu’une restructuration massive devrait intervenir, Délits d’Opinion fait le point sur les liens des Français avec l’un de leurs jouets préférés : l’auto.
Quelques chiffres
Tout au long du XXème siècle, l’automobile s’est démocratisée au sein de la société française tout en constituant un objet de distinction sociale fort. Le phénomène n’a cessé de s’amplifier avant d’exploser durant le dernier tiers du siècle précédent : alors qu’en 1953, 20% des Français possédaient au moins un véhicule, ils étaient 80% au début des années 2000 dans ce cas et un tiers à posséder au moins deux véhicules. Parallèlement à cet équipement, la France voit se développer des infrastructures routières massives reliant les principales agglomérations entre elles et autour de ces mêmes agglomérations.
En 2007, l’industrie automobile induisait directement et indirectement en France plus de 2,4 millions d’emplois, soit un salarié sur dix, pour un chiffre d’affaire total de 141,3 milliards d’euros ; la construction automobile au sens stricte employant 170 000 personnes, pour un chiffre d’affaire de 90 milliards d’euros. En 2007 (avant la crise), plus de 70 millions de véhicules ont été vendus dans le monde. En France, le nombre de voitures particulières produites est passé de 257 000 en 1950 à 5,3 millions en 2007.
Cette industrie a connu une expansion foudroyante durant les 30 Glorieuses (1945-1975), période durant laquelle la production mondiale passa de 10 à 30 millions d’unités. A cette époque, le secteur, en particulier Renault, a représenté un modèle d’innovation et de bonne gestion sociale des employés au point de servir de modèle expérimental aux autres entreprises du secteur public et privé. Renault va également devenir l’une des entreprises préférées des Français. En 1996, un grand sondage BVA réalisé auprès de 12 000 personnes désignait ainsi le constructeur français « Marque du siècle ».
A la fin des années 60, le secteur connait une première mutation avec la modification des législations douanières qui profitent principalement aux constructeurs européens et japonais.
Les années 70 et 80 voient la concurrence s’accroitre et la nécessité de restructuration paraît de plus en plus prégnante au point de laisser le modèle social de côté. Un vaste mouvement de consolidation prend place dans cette industrie. Pour reprendre l’exemple de Renault, l’entreprise (qui vient d’être privatisée par la loi du 4 juillet 1990) ferme en 1991 une usine espagnole, suivie en 1992 par celle de Billancourt. En 1996, l’usine de Setubal est cédée et les sites de véhicules utilitaires de Creil et de Batilly sont regroupés. Au final Renault employait 180.000 salariés et moins de 140.000 en 1996.
Années 80 et 90 : Les Français découvrent le voyage… en voiture
Les années 80 et 90 voient le développement des voyages privés ou professionnels : en 1997, seuls 18% des Français n’avaient pas voyagé au cours des 12 mois précédents alors que ce chiffre était de 26% en 1984.
Parallèlement, le nombre annuel total de trajets à plus de 100kms du domicile est passé de 5,5 à 9. Cette croissance a principalement bénéficié à la voiture puisque sur ces 9 trajets, 7,2 le sont par son biais (contre seulement 4,1 en 1984). Au total, sur dix voyages à plus de 100kms réalisés, près de huit le sont par ce biais.
A l’époque, cette tendance s’explique, entre autres, par deux variables :
- la satisfaction des conducteurs à l’égard des infrastructures routières : 90% des personnes ayant un véhicule se déclarent satisfaites des autoroutes et 84% des routes nationales. Plus de 7 conducteurs sur 10 se déclarent également satisfaits des services offerts sur le réseau : aires de repos, toilettes, téléphones publiques (ça existait encore à l’époque…) recueillent tous un taux de satisfaction très élevé.
- En dépit de l’augmentation des matières premières (pétrole, caoutchouc), la part de l’automobile dans le budget des ménages reste stable à partir de la fin des années 80 (un peu plus de 12%). Cette modération est notamment permise par les progrès technologiques - qui tendent à diminuer le coût de production unitaire - et une certaine modération dans l’utilisation.
Les trajets courts se développent également. Sous les effets combinés de la croissance économique, démographique et l’amélioration du confort des infrastructures de transport et des véhicules proposés par les constructeurs, l’étalement urbain amène une banalisation des trajets courts et quotidiens. Il devient ainsi de plus en plus fréquent de prendre sa voiture pour aller faire ses courses dans des grandes surfaces situées en zone péri urbaine ou d’aller travailler en voiture. A titre d’exemple, entre 1982 et 1994, la part de la voiture dans les déplacements domicile - achat et achat - domicile en semaine est ainsi passée de 40 à 62%
La progressive prise en compte de l’impossibilité du « tout-auto »
Malgré cette euphorie autour de la voiture, les Français prennent peu à peu conscience au milieu des années 90 des désagréments de la densification du trafic automobile, d’abord d’un point de vue pratique pour la qualité de circulation, puis pour les nuisances au sens large liées à l’environnement.
A partir de 1992, le développement des infrastructures routières n’est plus mis en avant comme la principale solution à l’augmentation du trafic routier. La mise en place d’une politique d’incitation à d’autres modes de transport lui est ainsi préférée : 62% la plébiscitent quand seulement 38% préfèrent encore le développement du réseau routier.
De même, afin d’améliorer les conditions de déplacement urbain, plus de huit personnes sur dix (82%) évoquaient en 1990 la possibilité de créer de nouvelles voies de circulation et seulement 65% proposaient de limiter la circulation des véhicules privés dans les centres villes. Six ans plus tard, une petite majorité de Français (58%, -24 points) proposaient encore la création de nouvelles voies et plus de trois sur quatre (76%, + 12 points) mentionnaient la limitation du nombre de véhicules.
L’apparition de la problématique environnementale
A partir de 1992 et la Conférence de Rio, la problématique environnementale ne va cesser de croitre.
En 1997, une enquête du CREDOC réalisée pour l’ADEME mettait en évidence le consensus général déjà présent dans l’opinion concernant les risques de pollution : 95% des Français étaient conscients des risques que la pollution atmosphérique présente pour la santé : près des trois quarts (72%) y voyaient même un danger «important». Près d’un habitant de la région parisienne sur deux (48,6%) déclarait également avoir déjà souffert des troubles liés à la pollution de l’air.
Cette prise de conscience va peu à peu modifier le regard porté sur les déplacements. En réponse à cette problématique, 87% des conducteurs (+5 points par rapport à la vague de 1996) se déclaraient prêts à mettre de côté leur véhicule les jours de très haut niveau de pollution : 56% sont prêts à y renoncer de leur plein gré et 30,6% par contrainte.
L’acceptation au renoncement n’est ici pas sans lien aux besoins de chacun : parmi les populations les plus enclines à renoncer à leur véhicule de leur plein gré, on retrouve des femmes inactives (67,1%), des retraités (66%), des non-diplômés (62,7%) et des urbains (60,6%).
Une tendance qui prend forme…
Les transports en commun apparaissent comme la solution de remplacement privilégiée : 35% des « renonçants » se déclarent prêts à y avoir recours, devant le vélo (25%) et la marche à pied (23%).
Même en dehors de circonstances exceptionnelles, la part de Français mettant de côté leur voiture dans le but avoué de préserver l’environnement augmente progressivement au milieu des années 90 pour atteindre 24% en 1997 et même 43% en région parisienne.
Cette tendance laisse augurer de ce qu’il adviendra les 15 prochaines années.