Titus - Jusqu'ici, ton oeuvre était marquée par un important apport autobiographique. "Alabama Song" constitue donc une grande première !
Gilles Leroy - Je prends en effet la voix d'une femme américaine qui vit dans les années 20 et 40. Donc, on ne pouvait pas faire plus exotique effectivement. Ce qui m'a intéressé, c'était d'utiliser le "je" pour parler, non plus de moi ou de mes avatars, mais de l'utiliser carrément pour quelqu'un à l'identité radicalement différente, comme Zelda. Zelda Fitzgerald, une femme, une Américaine née en 1900, avec qui je n'ai a priori aucun rapport. J'aime bien, pour chaque livre, me poser ce défi d'explorer une forme inédite pour moi. Et avec Zelda, ça a tout de suite collé. Je crois que ça n'aurait pas marché pareillement si je l'avais fait à la troisième personne. Ca serait devenu quelque chose de très froid, ou alors de biographique, et je tenais absolument à ce que ça soit un roman et vécu de l'intérieur, qu'on comprenne qui était cette personne au destin tragique, et en même temps glamour, trash, un sacré destin !
Titus - Tu termines le livre en précisant qu'il faut absolument le considérer comme un roman et non comme une biographie, mais il y a tout de même une grande part biographique là dedans...
Titus - En cela, ton roman apparaît comme une formidable réhabilitation de Zelda, non ?
Oui, même si ça n'était pas ma première intention. Mais oui, ça a permis de lui rendre sa voix, de lui rendre sa part dans le couple parce que sa part créative est énorme. Elle a quand même beaucoup participé à l'oeuvre. Comme ils n'ont pas cessé d'utiliser leur vie de couple pour nourrir les écrits - essentiellement les romans de Scott, mais aussi le roman de Zelda et les nouvelles -, c'est en fait comme une gigantesque auto-fiction à deux ! Pour moi, ce couple est une association et la part de Zelda a jusqu'ici été souvent maltraitée, méprisée et mésestimée. En ce sens-là, oui, je rétablis une justice.
Titus - Est-ce que l'idée de ce roman te trottait dans la tête depuis longtemps ?
Titus - Dans la conclusion du livre, tu fais allusion à un amant qui avait cherché, quand tu étais plus jeune, à t'interdire d'écrire, de la même façon que Scott n'encourageait pas la production de Zelda... Est-ce que ça n'a pas été un autre élément déclencheur de ce roman ?
Oui, ça y ressemble, dans la mesure où, j'ai, pendant un an de ma vie - j'avais à peu près vingt ans - accepté une situation assez stupide qui était que je vivais avec quelqu'un qui refusait que j'écrive, qui prétendait que si on aime, on est autosuffisant et fusionnel, qu'on n'a pas besoin d'autre chose. Et cette personne prétendait que, pour lui, l'art ou toute sorte de création était le signe d'un manque. Un manque affectif ! Et donc, si j'écrivais, c'était que j'étais dans un manque affectif. C'était assez stupide, je dois dire ! Et ce que je décris et que Zelda faisait - qui était de cacher ses manuscrits - je l'ai fait moi-même pendant quelques mois dans ma vie, jusqu'au jour où j'ai claqué la porte en me disant que quelque chose n'allait pas.
Titus - Je trouve la fin du livre très touchante, lorsque tu racontes ton propre voyage en Alabama, dans les pas de Zelda et Scott. Y as-tu effectué un séjour en amont de l'écriture d'"Alabama Song" ?
Titus - As-tu, du coup, repris certains passages en essayant d'y ajouter des ambiances ?
Oui, notamment sur les odeurs. Je suis quelqu'un de très olfactif et j'ai besoin de savoir ce que sentent les maisons, les rues, etc. Ces indications-là sont donc venues grâce au voyage. Ca m'a aussi conforté dans l'idée que Montgomery devait vraiment pas être une ville folichonne pour que Zelda veuille à ce point en partir, parce qu'elle cherchait pas vraiment l'amour avec Scott, à mon sens. Elle cherchait surtout à sortir de ce milieu où elle avait grandi. Elle appartenait quand même à l'une des deux familles les plus célèbres de la ville et de l'Etat. On pouvait se demander : pourquoi ce besoin de partir alors qu'elle aurait pu épouser un beau parti. Elle flirtait beaucoup et était très courtisée, et j'ai compris, lors de mon séjour là-bas, pourquoi il fallait qu'elle parte. Il y avait quelque chose de très pesant, de très étouffant dans ce pays.
Titus - Le livre, on l'a appris cette semaine, est en nomination pour les prix Goncourt, Renaudot, Médicis et Fémina. Qu'en dis-tu ?
Evidemment, ça me ferait très plaisir de recevoir l'un de ces prix. Ma réaction peut paraître très banale, mais j'essaye en fait de ne pas trop y penser pour rester zen. Mais c'est difficile de ne pas y croire un peu...
Titus - Est-ce vrai que tu t'es aussi récemment intéressé au théâtre ?
Gilles Leroy, "Alabama Song", Mercure de France, 2007.