Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
Pendant que des mortels la multitude vile,
Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,
Va cueillir des remords dans la fête servile,
Ma Douleur, donne-moi la main; viens par ici,
Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,
Sur les balcons du ciel, en robes surannées;
Surgir du fond des eaux le Regret souriant;
Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,
Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.
La nuit est arrivée, normalement, laissant derrière elle cette agitation vaine qui nous caractérise nous, humains, perdus dans nos joies tout aussi vaines, perdus dans ce qui nous aide à laisser partir le jour sans trop regretter ce que nous n'avons pas osé faire. La maison est rejointe, le train est reparti, un peu plus loin que chez soi. Il a emporté ceux qui auront à attendre encore un peu de retrouver ce qui les fait.
Il a suivi sa ligne, différente de celui qui est sorti pendant les 2 minutes d'arrêt. Souvent, je me dis que l'intérêt d'un lieu dépend du temps que le train passe à quai. Qu'en est-il des correspondances alors ? Est-ce une attente supplémentaire ou la proposition d'une croisée des chemins possible ?
La douleur est une chose tout à fait maîtrisable. Il suffit d'accepter de renoncer aux évidences. La douleur est facile à vaincre, il suffit de ne jamais avoir mal. Quelle évidence ! C'est évident oui, c'est évidant (évider un lapin est évident aussi, quel vilain mot !)
Mais quand l'évidence de la douleur vous oblige à accepter une souffrance moins forte par manque de courage, quand la douleur vécue est tellement forte qu'il vaut mieux partir, qu'il vaut mieux se précipiter vers le prétexte d'un train qui risque de partir à l'heure plutôt que de rester à quai et d'affronter la suite, celle qui vous donnera le droit de sentir pour longtemps l'odeur que vous êtes en train d'oublier, alors vous fermez toutes les portes, vous laissez pénétrer gentiment la lame qui vous brûle, en espérant l'espoir.
Agir est difficile, bien plus dur que de souffrir.
Sois folle, ô ma douleur, ne me laisse jamais tranquille.
Publié par les diablotins