Les chaussures roses

Par Chatperlipopette

Arabie Saoudite, la ville de Djeddah, La Fiancée du désert. Nous sommes à la fin des années 80, la guerre en Erythrée a fait fuir nombre de ses citoyens, dont Nasser et son petit frère, près de 10 ans auparavant.
Nasser a rompu les ultimes liens avec son oncle, celui qui les avait recueillis pour une vie meilleure, celui qui l'a vendu à son kafil ou"parrain" pour l'octroi annuel du titre de séjour. Nasser lave les voitures et nous sommes en Arabie Saoudite, pays de l'or noir où les étrangers doivent être sous la tutelle d'un saoudien et où les femmes doivent se cacher sous leurs immenses voiles noirs...où la liberté n'est que l'ombre d'elle-même. La vie est rythmée par les appels à la prière et l'écoute des prêches de l'imam aveugle, celui qui envoie combattre en Afghanistan, celui qui organise la séparation des mondes masculin et féminin....celui qui fait que la tendresse et le désir entre un homme et une femme deviennent tabous, ne laissant aux hommes que le réconfort d'autres hommes.
Un jour, alors qu'il s'est posé à l'ombre de son palmier préféré, Nasser reçoit un message tombé d'une des ombres sombres voilées, d'une des ombres de l'angoissant film en noir et blanc des rues saoudiennes. Un message où une ombre lui avoue son amour....Nasser, malgré les dangers qui les guettent, attendra jour après jour ces messages délivrés par l'ombre aux chaussures roses....points de couleur enivrante dans le monde N&B du quotidien.
Qui est-elle? Comment est-elle? Quel corps se cache sous ces voiles sombres? Est-elle une jeune fille désoeuvrée voulants 'amuser avec le coeur d'un jeune homme frustré? Est-elle l'amour qu'il a depuis toujours attendu? Est-elle le destin qui lui donnera une vie meilleure? Ou est-elle sa propre perte?
Nasser vit au rythme de la marche des chaussures roses, Nasser se noie avec délectation dans un amour de plus en plus passionné, Nasser ne rêve que d'une chose: sombrer dans les bras de son amante voilée.
"Les amants de la mer Rouge" est le roman de l'amour interdit, bravant les interdits religieux et politiques (Nasser risque l'expulsion avec perte et fracas), où la passion amoureuse est au-delà de tous les dangers....un Roméo et Juliette des non-dits et de la frustration. Un roman où le blanc des vêtements des hommes, libres et au visage découvert, se déplace à côté, sans s'y mêler, du noir des femmes, dont on ne voit même pas le regard, et où le rose apporte une note discordante, petit grain de sable dans l'engrenage (peut-être pas si bien huilé que cela) d'une société gorgée d'interdits religieux plus frustrants les uns que les autres. La pointe de couleur audacieuse d'une esquisse de bonheur que l'éphémère ambiant risque d'occulter à chaque instant.
A partir du moment où sont entrées en scène les chaussures roses, l'envie de continuer la lecture s'est manifestée: en effet, l'écriture simple, directe, très anglo-saxonne (pour ne pas dire américaine), m'a gênée d'autant plus que le sujet est intéressant et poignant. D'un côté, un style grandiloquent aurait été inutile mais j'aurais aimé des phrases plus longues, à la respiration lente et au rythme lancinant....à l'image du désert proche et de la rêverie du héros, un Nasser attachant au profil romanesque intéressant....sa rébellion est cependant bien décrite, à petites touches plus saisissantes les unes que les autres. J'ai aimé également le parti pris de l'auteur qui fut de ne donner qu'une place d'ombres discrètes et muettes, où la peur transpire sous les voiles noirs, jusqu'à l'apparition des chaussures roses. On pourrait penser que les femmes sont absentes, voires ignorées, alors qu'en réalité leur ombre est omniprésente et leur silence une longue conversation. Le monde des hommes n'est qu'un miroir sans tain d'une société mortifère qui brime ce qui est d'une indicible beauté: la tendresse, le respect dans l'amour partagé et choisi.
"Les amants de la mer Rouge" est certes un roman agréable à lire bien qu'il aurait gagné à creuser plus en profondeur le partage des mondes masculins et féminins, niant leurs évidents entrelacs: je suis restée sur ma faim d'où ma déception.

Je remercie Suzanne de Chez les Filles et les éditions Flammarion pour cette lecture.

Roman traduit de l'anglais (Grande Bretagne) par Anne Guitton

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