Le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord (MENA) sont universellement reconnus comme la région la plus sèche et la plus pauvre en eau dans le monde, et cette situation affecte de plus en plus le développement économique et social de la plupart des pays de la région. Avec 5 % de la population mondiale, MENA dispose de moins de 1 % des ressources d’eau douce du monde. Malgré ces caractéristiques, de nombreux pays continuent à utiliser des quantités considérables de ces rares ressources en soutenant des institutions publiques d'irrigation et d’adduction d’eau inefficaces.
Au niveau mondial, la quantité moyenne d’eau disponible est proche de 7 000 m3/personne/an, contre 1 200 m3 environ/personne/an pour la région. La région a la plus grande variabilité de précipitations au monde. En outre, alors que la population devrait passer de quelque 300 millions d’habitants aujourd’hui à 500 millions environ en 2025, les quantités disponibles par habitant devraient diminuer de moitié à l’horizon 2050.
La provenance de l’eau varie d’un pays à l’autre. Certains pays, tels que l’Égypte et l’Irak comptent pour l’essentiel sur les eaux de surface issues des grands fleuves internationaux qui les traversent. D’autres, comme le Yémen, Djibouti et les États arabes du Conseil de coopération du Golf dépendent presque exclusivement des nappes souterraines et de la dessalinisation, tandis que d’autres encore utilisent à la fois l’eau de surface et l’eau souterraine. La plupart des pays mobilisent presque toutes les eaux de surface disponibles et une grande partie des principaux cours d’eau n’atteignent pas l’océan.
La région MENA est aussi particulièrement exposée aux effets du changement climatique du fait de ses disponibilités très faibles en eau et de ses niveaux de précipitations extrêmement variables, de sa forte dépendance à l’égard de l’agriculture, secteur sensible aux évolutions du climat, ainsi qu’à cause des fortes concentrations de population et d’activité économique dans des zones urbaines côtières soumises aux inondations. Les simulations du Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prédisent un accroissement de la variabilité des températures et des ressources en eau dans plusieurs pays de la région. Les eaux de précipitation enregistreront des diminutions allant jusqu’à 30 % d’ici à 2050. Ceci aura une incidence sur la production agricole et augmentera la forte dépendance de la région vis-à-vis des importations de produits alimentaires. Les modèles climatiques prévoient également une augmentation du niveau de la mer de plus de 0,5 mètre d’ici à la fin du siècle, exposant ainsi les zones côtières de basse altitude en Tunisie, aux Émirats Arabes Unis (EAU) et en Égypte à des risques particuliers.
Au cours des dernières décennies, les pays de la région ont réagi à la pénurie d’eau principalement en investissant considérablement dans les infrastructures. La couverture des réseaux d’alimentation en eau a augmenté de façon remarquable. Plus des trois quarts de la population des pays emprunteurs de la région MENA ont maintenant accès à de l’eau salubre et à des systèmes d’assainissement améliorés, bien que ces services soient souvent intermittents. De nombreux pays ont effectué des investissements majeurs dans les infrastructures de stockage de l’eau et ont beaucoup investi pour étendre leurs réseaux d’irrigation. En outre, la région occupe un poste avancé dans le monde pour l’application de technologies non traditionnelles telles que la dessalinisation et la réutilisation des eaux usées. Toutefois, ces investissements n’ont pas toujours été accompagnés par les réformes nécessaires sur les plans institutionnel et de l’action gouvernementale et ne génèrent pas souvent de rendements économiques optimums. Les politiques autres que celles relatives à l’eau créent des incitations pour une utilisation non efficiente de l’eau pour la production agricole, secteur qui utilise 85 % de l’eau de la région.
De nombreux problèmes structurels pénalisent la gestion des resources de la region. En premier lieu, l’utilisation excessive et inefficiente de l’eau : sept pays de la région utilisent plus d’eau que ne permettent leurs réserves renouvelables, et nombre d’entre eux gaspillent l’eau dont ils disposent. Les pays du Golf, par exemple, ont la consommation d’eau domestique par habitant la plus élevée au monde – atteignant plus de 600 litres par personne par jour, soit plus de deux fois la consommation moyenne aux Etats-Unis. Les fuites dans les réseaux urbains représentent souvent une perte de ressources de 40 à 50 %, et plus de la moitié des quantités d’eau prélevées pour l’agriculture n’atteignent pas les cultures qu’elles devraient irriguer.
Par ailleurs, les politiques mises en oeuvre jusqu’à present se sont révélées inefficaces : les politiques axées sur la sécurité alimentaire et le maintien de l’emploi dans les régions rurales ont conduit à la mise en place de mécanismes tarifaires et non tarifaires pour protéger l’agriculture. De ce fait, l’agriculture absorbe quelque 85 % de l’eau pour cultiver des produits agricoles que les pays auraient intérêt à importer parfois. L’eau détournée pour les besoins agricoles nécessite souvent des investissements coûteux pour pourvoir aux besoins de la consommation domestique et commerciale. Les politiques à caractère social sur le prix de l’eau compromettent le recouvrement des coûts, réduisent l’entretien, aggravent la qualité des services et constituent une menace pour la viabilité financière des services d’utilité publique dans de nombreux pays de la région.
Dans ce contexte, le recours excessif aux financements publics a sa part de responsabilité : les dépenses publiques consacrées à l’eau comptent pour 1 à 5 % du PIB dans la région et un quart des dépenses publiques d’investissement. Cependant, une grande partie des dépenses publiques ne génèrent pas toujours les bénéfices attendus. Les investissements sont parfois mal programmés (par exemple, des barrages peuvent se retrouver sans infrastructures d’irrigation pour exploiter l’eau emmagasinée) et le recouvrement insuffisant des coûts diffère les travaux d’entretien et de réhabilitation des installations. Seuls deux pays de la région disposent de services d’utilité publique qui couvrent leurs coûts opérationnels et de gestion (O&G) et la participation du secteur privé aux services d’approvisionnement en eau, d’assainissement et d’irrigation reste encore modeste, sauf dans un nombre limité de cas, comme au Maroc, en Iran et aux EAU.
On observe parallèlement avec inquiétude la dégradation de la qualité de l’eau : l’insuffisance des équipements d’assainissement a contaminé les eaux de surface et les eaux souterraines, entraînant des conséquences préjudiciables sur l’environnement et la santé publique. En Iran, par exemple, les maladies et les décès imputables aux déficiences de la collecte et du traitement des eaux usées ont coûté à peu près 2,2 % du produit intérieur brut (PIB) en 2002 !
Il semble donc indispensable d’élaborer des plans pour la transformation des modes d’utilisation de l’eau pour l’agriculture. La population croissante et les changements climatiques réduiront inévitablement le volume d’eau douce disponible pour l’agriculture. Les paysans devront ainsi s’adapter lorsque les aquifères seront épuisées et que les eaux de surface deviendront trop aléatoires et/ou seront polluées, ou la transition pourra être atténuée et mise à profit dans une certaine mesure en mettant en œuvre des réformes des dispositifs juridique, financier et institutionnel propres à accroître la productivité de l’eau. Les pays auront peut-être besoin d’envisager des mécanismes de protection sociale notamment pour les ménages pauvres des zones rurales.
Par ailleurs, il est urgent d’améliorer les services de distribution d’eau et d’assainissement en milieu urbain. Les populations urbaines plus importantes exerceront une pression croissante sur les opérateurs pour qu’ils développent les services de distribution d’eau potable et d’assainissement domestique. L’amélioration des résultats dans le secteur de l’eau et l’assainissement est essentiellement un problème institutionnel. Les pays devront ainsi revoir les politiques tarifaires en vigueur, les réglementations, la coordination inter-sectorielle, ainsi que la gouvernance en ouvrant le secteur à la société civile.