J’ai oublié de préciser qu’il est d’étranges coïncidences. J’avais, sur mon bureau, depuis quelques jours déjà, « Invitation au Talmud », de Marc-Alain Ouaknin (Champs – Essais). Tout à fait par hasard, je tombais sur ce passage, qui me paraît hallucinant, et lumineux : « Le visage du maître est rayonnant. De ses yeux sort un feu sombre. Il poursuit : « Ecoutez, écoutez cette grande leçon. » Sa voix se fait soudain plus douce, plus calme et comme intime. « II est écrit : "Ce monde est comme un vestibule avant le monde qui doit venir ; prépare-toi dans le vestibule, afin de pouvoir entrer dans la demeure". La signification de ces paroles est claire : le vestibule est ce monde, et la demeure est le monde à venir. Écoutez. La valeur numérique de l'expression "ce monde" (olam hazé) est de cent soixante-trois et la valeur numérique de l'expression "le monde à venir" (olam haba) est de cent cinquante-quatre. La différence entre les valeurs numériques de "ce monde" et de "le monde à venir" est de neuf. Neuf est la moitié de dix-huit. Dix-huit, c'est la valeur numérique de hai, la "vie". Même en reliant notre monde au monde futur, nous ne sommes qu'à moitié vivants dans ce monde ! Seulement à moitié vivants ! » Un murmure court parmi les tables, les têtes se penchent, les lèvres sourient. Les étudiants aiment la guématria, qui nourrit la réflexion à l'aide des valeurs numériques. Chaque lettre de l'alphabet hébreuest aussi un nombre, ce qui revient à dire que chaque mot hébreu possède une valeur numérique. Ainsi, les mots hébreux pour « ce monde » sont olam hazé, et en additionnant la valeur numérique de chacune des lettres la valeur numérique totale du mot s'élève à cent soixante-trois. Le maître reprend la parole : « Écoutez-moimaintenant. Comment faire pour que nos vies soient entières ? Comment faire pour que nos vies deviennent dix-huit, et non pas neuf, qu'elles ne soient pas des demi-haï ? » Et le Rabbi repart dans une course effrénée de valeurs numériques. « Si l'on prend les neuf premiers chiffres, 1, 2, 3... dit-il, et qu'on les additionne, on trouve quarante-cinq, qui est la valeur numérique du mot "homme" (adam) et du mot "quoi ?" (ma). Écoutez cette grande leçon ! Seul l'homme capable de questionnement est un être vraiment vivant et non un demi-haï. » Un nouveau murmure d'approbation traverse l'assemblée. « Maintenant écoutez encore : en guématria,les lettres du mot traklin, la "demeure" dont il est question à propos du monde à venir, représentent trois cent quatre-vingt-dix-neuf, et prozdor, le "vestibule" qu'est ce monde, représente cinq cent treize. Soustrayez traklin de prozdor et vous obtenez cent quatorze. Maintenant écoutez-moi, réitère-t-il. Un homme juste, un tsaddiq, c'est deux cent quatre. Un homme juste vit selon la Tora. Les grands et saints Rabbis ont toujours comparé la nature de la Tora à l'eau (mayim). Le mot mayim, en guématria, c'est quatre-vingt-dix. Soustrayez mayim de tsaddiq et vous trouvez aussi cent quatorze. De cela nous apprenons que l'homme juste qui s'écarte de la Tora s'écarte aussi du monde à venir ! ». Or, juste à ce moment-là, c’est Louis Wolfson qui reprend de plus belle, donne de la voix, exigeant son dû, toujours à interpréter, à reconstruire, à parler sa propre rumeur, pour reprendre la belle expression qui figure sur un des derniers billets du journal d’une taupe. Le texte ci dessous est celui qui commande le silence pour clore le récit. Maestro : « C'était encore et toujours le 18 mai 1977. C'était le 686e anniversaire de l'attaque réussie des Turcs contre Acre, dernière place forte des croisés dans la soi-disant Terre sainte. C'était le lendemain des élections en Israël, où les socialistes sous Simon Pères furent défaits par la coalition de droite sous Menachim Begin (nouvelle « croisade » ?). C'était le 335e anniversaire de la fondation de la ville de Montréal, où j le sort voulait que j'écrivisse ma partie de ce livre. C'était le 57° anniversaire de naissance de Karol Wojtyla, futur pape polonais, incapable de comprendre Apocalypse, XXI, 4, que revoici : ...et la mort ne sera plus, et il n'y aura plus ni deuil, ni cri, ni douleur, car les premières choses ont disparu. Et c'était, surtout, le jour de la Paix (même s'il y en a un autre, célébré le Ier janvier), et quoi que disent les idiots antinucléaires - et nous n'avons pas du tout suffisamment de bombes pour stériliser la planète —, la seule paix véritable est celle du cimetière, le cimetière j planétaire ! Et quant à un autre Polonais, celui-ci ayant les initiales L. W., s'il a reçu le Nobel de la Paix (de 1983), vraisemblablement ; pour avoir donné un peu plus de fil à retordre aux Rouges de son propre 1 pays comme à ceux du pays voisin grand frère (1984 ?), c'est infiniment plutôt à un Américain avec ces mêmes initiales, qui prône, lui, la paix véritable (celle du cimetière planétaire, évidemment), que ce fameux prix de l'inventeur de la dynamite, d'ailleurs tant disputé ! devrait être attribué en ce 1984 (orwellien ?) ! Je ne connais évidemment pas combien de millions, de milliards de nonillions (est-ce même un nombre fini ?) de planètes se sont donné une vraie euthanasie nucléaire cette nuit du 17 au 18 mai 1977, mais la Terre n'était pas (encore ?), bien malheureusement, de leur nombre ! » Loin de moi, bien sûr, l’idée de mettre sur le même plan ces deux textes. Juste, l’évidence qu’il ne faut cesser d’interpréter, donc, d’agencer les mots et les phrases, et d’y attribuer une signification nouvelle. Dans la vie ordinaire, c’est évidemment tout à fait impossible. Si vous êtes mystique ou schizophrène, il en va autrement, naturellement. A moins que vous ne décidiez de tenir un blog. Voilà où je voulais en venir. Subitement, une étrange liberté s’offre à vous. Le monde et vaste, et parle votre langue. Vous y croisez de drôles de créatures qui vous reprennent en écho, puis vous répondent ce que vous rêviez d'entendre. Il n’y a plus aucune limite au pouvoir de votre esprit. Vous voilà légèrement sur vos gardes. Mais tellement heureux, au fond !
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 31 mars à 22:54
Boujour, je vous invite à installer guematrio, une application qui vous permet de calculer differentes sortes de guematria : http://guematrio.siteperso.ws/ merci