La Mode change tout le temps. Elle se crée et se suit. Elle n’est jamais statique. Pourtant il est parfois difficile de lui échapper ou de la devancer sans passer pour un hurluberlu. C’est ce jeu qui était mis en scène durant la seconde toilette du XVIIIe siècle, face à un miroir qui ne reflétait qu’une seule chose : soi-même. Ce moment était celui de l’expérimentation (de nouvelles toilettes, coiffures, amours, amitiés, poèmes …), de l’échafaudage de la journée, des messages secrets pas seulement dissimulés dans des billets-doux mais aussi dans le choix de fleurs, de parures, de couleurs, de nombres, dans l’emplacement de ses mouches… C’était l’instant où l’on donnait des rendez-vous en catimini… ; la période intermédiaire située entre soi-même et le monde. Ces minutes (voir ces heures) étaient peut-être les plus libres de la journée ; aussi celles où l’on mettait en scène cette liberté en se montrant sous son meilleur jour, le plus sociable et parfait. De nombreux textes du XVIIIe siècle relatent que ce qui caractérisait le mieux le français de cette époque c’était sa sociabilité, sa disposition naturelle à être agréable, courtois et charmant. Il ne s’agissait pas en cela de suivre aveuglément des conventions, mais d’exercer son style et son plaisir. Le bon ton n’était pas une affectation, une obligation, mais l’expression de cette harmonie, de ce « je ne sais quoi » qui comme le suggère l’expression est indéfinissable et ne peut donc être emprisonné dans des conventions, des contraintes que le français exécrait. Ce goût pour cette liberté s’est exercé dans tout le XVIIIe siècle, du début jusqu’à la fin avec la Révolution. Il s’est manifesté en particulier dans le Beau, et cela dans les Beaux-arts, la Littérature, la Philosophie, la Mode…
« Sur les gens à la mode. De tous les peuples, le français est celui dont le caractère a dans tous les temps éprouvé le moins d’altération […] Cette nation a toujours été vive, gaie, généreuse, brave, sincère, présomptueuse, inconstante, avantageuse et inconsidérée. Ses vertus partent du cœur, ses vices ne tiennent qu’à l’esprit, et ses bonnes qualités corrigeant ou balançant les mauvaises, toutes concourent peut-être également à rendre le français de tous les hommes le plus sociable. C’est-là son caractère propre, et c’en est un très-estimable ; mais je crains que depuis quelque tems on n’en ait abusé ; on ne s’est pas contenté d’être sociable, on a voulu être aimable, et je crois qu’on a pris l’abus pour la perfection. Ceci a besoin de preuves, c’est-à-dire d’explication. Les qualités propres à la société, sont la politesse sans fausseté, la franchise sans rudesse, la prévenance sans bassesse, la complaisance sans flatterie, les égards sans contrainte, et surtout le cœur porté à la bienfaisance ; ainsi l’homme sociable est le citoyen par excellence… Le bon ton dans ceux qui ont le plus d'esprit consiste à dire agréablement des riens, à ne se pas permettre le moindre propos sensé, si l' on ne le fait excuser par les grâces du discours, à voiler enfin la raison quand on est obligé de la produire, avec autant de soin que la pudeur en exigeait autrefois, quand il s' agissait d' exprimer quelque idée libre […] Soyons donc ce que nous sommes, n' ajoutons rien à notre caractère ; tâchons seulement d'en retrancher ce qui peut être incommode pour les autres, et dangereux pour nous-mêmes. Ayons le courage de nous soustraire à la servitude de la mode, sans passer les bornes de la raison. » Duclos, Charles (1704-1772), Considérations sur les moeurs de ce siècle, 1751.