Philippe Bornard est un vigneron rusé. Comme son nom semble l'indiquer. Coopérateur de longue date à Pupillin, il a, depuis toujours, vinifié quelques cuvées à titre personnel et privé. Depuis 2005, il avance crinière au vent. Il a cessé de vendre son raisin à la coopérative, pour produire désormais ses propres vins. Et c'est tant mieux! Un jeune domaine, mais un vigneron qui a de l'ancienneté et du bagage. Et des millésimes anciens à la cave. Son plaisir: les ouvrir et en faire profiter les amateurs et les amatrices, bien au frais dans le joli carnodze aménagé dans une des magnifiques caves du domaine. Une dégustation à l'aveugle, où il s'agissait d'identifier cépage et millésime. Le producteur? Ben, on le connaissait tous! Cela peut paraitre facile de prime abord, mais le sans-faute est rare. Les meilleurs se fourvoient allègrement, confondant trousseau et ploussard, voire, pour les plus mauvais, ploussard et poulsard, ce qui est définitivement mal vu à Pupillin. Même si, comme chacun sait, l'important, c'est finalement d'en boire.
Les cépages rouges jurassiens, ces grands incompris, ont largement de quoi séduire les amateurs lorsqu'ils sont travaillés intelligemment. Ils possèdent en outre une grande aptitude au vieillissement. Les plus anciens, récoltés mûrs et bien vinifiés, dans les beaux millésimes, ont de beaux jours devant eux et paraissent encore bien jeunes. La preuve avec le premier vin à ouvrir le bal, un Arbois-Pupillin Ploussard 1976 à la robe œil de perdrix, une grande partie des anthocyanes étant restée accrochée aux parois de la bouteille. Dépouillé de ses atours, pas de sa matière. Evolué, certes, mais sa structure droite, acidulée, poivrée et fraiche porte encore bien loin. 33 ans, le gaillard! Et toujours debout. Le Trousseau 1997 fut l'un des plus beaux vins proposés à la dégustation. Le plus complet, certainement. Une structure parfaitement bien définie, à maturité optimale, un grand moment gustatif. Le Pinot noir 1990 était un petit cran en-dessous, sans démériter pour autant. Plusieurs autres vins au programme, pas un seul âgé de moins de 10 ans, mais une grosse panne de stylo n'a pas permis la prise de notes précises. Sans aucun doute la faute à Mehdi, le trublion retardataire de la soirée, ratapoil* de surcroît. Quelque soit leur âge, aucun des vins n'a failli. En blanc, mention particulière pour un Chardonnay 1976, impeccable, qui n'était pas s'en rappeler les vins de Camille Loye du même millésime. Certains ont préféré le 1979, malgré un petit manque de netteté sur le premier nez. On ne peut pas pour autant leur en vouloir! Des vins idéalement vinifiés, avec le moins d'intrants possibles, embouteillés avec un peu de gaz, ce qui leur assure fraicheur et longévité.
Beaucoup plus récent, servi sur les succulentes saucisses vigneronnes cuites dans la cheminée, cet Arbois-Pupillin Ploussard 2008 en macération carbonique sera le dernier coup de cœur: du raisin, point barre! D'ailleurs c'est son nom, à cette cuvée. On en boit des seaux, Point barre! Le futur est en marche, mais le passé a de beaux restes, du côté des Chambines** et de la Côte de Feule**.
Olif
* ratapoil: nom masculin, si c'est un homme, féminin le cas contraire. Personne qui a élaboré du vin pour sa propre consommation alors qu'il n'est pas officiellement vigneron.
"Hmm!, il est bon, ton vin de ratapoil. Meilleur que celui que fait Untel!" En principe, ce genre de choses ne se dit pas. Ce n'est pas correct pour Untel.
** Les Chambines et la Côte de Feule sont deux noms de parcelles situées sur Pupillin. On essaiera d'y voir un peu plus clair sur les terroirs pupillanais un de ces jours.