Présentation du dernier PSG-Marseille sur Canal+ début septembre."Ce n'est pas le joueur qui court, c'est la balle…"
Soudain, un éclair dans le lot d'images d'archives sorti pour les besoins de ce "Grand match". Safet part du milieu de terrain, fonce - certains diront lentement, mais c'est l'époque qui veut ça…- vers le but, dribble la défense marseillaise et fait trembler les filets d'un maître-tir. Safet, pour ceux qui n'auraient pas eu la chance de le voir jouer, c'est Safet Susic, milieu de terrain inatteignable du PSG dans les années 1980. Le meneur de jeu bosniaque n'était pas un monstre physique, contrairement aux joueurs actuels. De taille moyenne, le maillot flottant trahissant parfois un léger embonpoint, il était même l'incarnation de la sentence platinienne :
Mais quand il l'avait au pied, la balle, et qu'il était dans un grand jour, le Parc des Princes ronronnait de plaisir. Des arabesques tout en folie balkanique, une classe folle et un coup de patte de génie, à faire passer le meilleur des gardiens pour un vulgaire portier de l'équipe d'Angleterre. Je garde au cœur le souvenir d'un de ces soirs de magie, où l'odeur fraîche de la pelouse baignait dans le calme de l'avant-match les rangées de sièges rouges de la tribune Boulogne. Le coin était encore fréquentable, même si les premiers skinheads poussaient comme des chancres autour desquels allait suppurer la plaie, où se roulent encore quelques décérébrés aux bras prestement tendus.
C'était la finale de la coupe de France 1983. Les supporters des canaris nantais jubilaient après le but le plus célèbre marqué par l'éphémère "Brésilien" José Touré, un artiste lui aussi. Mais ce soir-là, le dieu du football se moquait pas mal de Copacabana, du stade Marcel-Saupin, qui vivait ses derniers mois, et de la barbe de Jean-Claude Suaudeau. Il avait le cœur bosniaque et parisien, tout barbouillé de rouge et bleu. Je revoie Safet égaliser. Enrhummer Seth Adonkor, le défunt frère de Marcel Desailly, et régler son cas d'un missile lointain au gardien nantais. Après, je ne sais plus. Encore une passe "caviar" pour Toko, qui emballe l'affaire sept minutes avant le coup de sifflet de l'arbitre. La tribune Boulogne chavire et moi avec, tombé dans les bras de mon voisin du rang d'en dessous, un colosse barbu en larmes, quand les Parisiens brandissent la coupe en fin de match. Victoire 3-2 et Safet plus que jamais idole de Paris.
Vingt ans plus tard - vingt ans dans les carreaux, ça fait mal…- je garde une profonde affection pour le "Papet" comme on l'avait surnommé, Susic, notre prince du Parc. J'ai apprécié d'autres "Messieurs" du ballon - Raï, la comète Leonardo, Valdo, Simone pour ne citer que les Parisiens…-, mais Safet occupe une place à part. Celle des héros de jeunesse, bien sûr, quand on jette sur le monde un regard encore tout poudré des magies de l'enfance. Celle d'un stade convivial surtout où, des héros sur le terrain au public souvent clairsemé dans les tribunes, on pouvait respirer un peu d'air pur et où les joueurs parisiens, malgré quelques défaites mémorables, réussissaient parfois à s'amuser sans donner l'impression d'entrer sur la pelouse avec des boulets aux pieds…