La terrasse du club Week-End à Berlin. Photo du blog Stylewalker.
Je suis plutôt dans l’écriture que dans la lecture en ce moment. J’y suis même jusqu’au cou, au point que je ne peux m’arrêter de prendre des notes, même dans les situations les plus improbables.
Imaginez votre Magda au bras de son cavalier des folles soirées, un Latino New-Yorkais qui fait peur à tout le monde, à cause de ses tatouages envahissant tout son dos et ses bras, mais qui, au fond, est une crème fouettée sucrée de chez Dame Tartine. Nous entrons au Week-End, un club réputé de Berlin, où jouent les meilleurs DJs de la planète électro. C’est chouette. Sur le passage de mon ami Latino, les mains se tendent, les formules de respect genre gang US s’égrènent, j’ai le sentiment d’être dans Ghost Dogs de Jim Jarmusch, et ce cliché me fait rire.
Le Week-End est une boîte de nuit perchée en haut d’une tour énorme, bâtie autrefois par les architectes malveillants de la RDA, au centre de la ville. Le panorama y est extraordinaire, déployant des aires vierges en chantier, des tours illuminées dans la nuit et bien sûr, l’inratable Tour de la Télévision. La jeunesse cosmopolite de Berlin vient s’y gorger de rythmes techno et de vodka-lemon, et se refait une beauté de temps en temps dans les toilettes hallucinantes du club : miroirs fumés gigantesques sur fond noir d’encre. Les chiottes les plus classe de l’Allemagne.
C’est dans ce décor que je me mis à écrire brutalement, au lieu de faire ce à quoi je me préparais : danser comme une dingue jusqu’à ce que l’aube pointe par les immenses baies vitrées. Parce que devant ces toilettes incroyables se tenait une femme tout aussi incroyable, une dame pipi de cinquante-cinq ans, qui ressemble plus à ma boulangère qu’à une employée de club électro branché. Vêtue d’un T-shirt, d’un pantacourt et d’un bandeau de sport immaculés dans ses cheveux courts, elle semblait plutôt s’apprêter à aller perdre sa petite bedaine lors d’un jogging nocturne!
Elle était tout bonnement fascinante. Les gens hurlaient, dansaient, se tortillaient, les filles se repoudraient le nez en titubant sur leurs talons aiguilles, la techno envahissait tout le club jusqu’aux urinoirs, et elle, la dame pipi du Week-End, se tenait là, phare blanc dans la nuit noire des fêtards. Par ici la monnaie! Les filles laissent plus volontiers quelques centimes dans la coupelle de la dame, qui les remercie d’un geste amical et d’un sourire de mère comblée. Les garçons lui tendent parfois leur bière, vas-y bois un coup, elle refuse poliment, elle a sa limonade.
Je me suis approchée d’elle pour entendre ce qu’elle disait à une fille en larmes, rimmel dégoulinant et robe de soirée chiffonnée. “Mais non, mais non, il t’aime toujours. Il a trop bu. C’est tout. Tu sais comment sont les hommes.” “Et moi aussi j’ai trop bu!” répliqua la jeune fille dans un éclat de rire qui brisa ses sanglots.
Hélas, à ce moment, mon ami Latino m’entraîna dans le tourbillon de sons métalliques au centre de la piste de danse avant de me pousser vers la sortie. “Time to get out of here”, ajouta-t-il de son sourire lumineux au milieu de son visage animal. A Berlin, on ne passe pas plus de deux heures dans le même club. Sortir, c’est presque un métier. Je me suis rebellée, je voulais rester près de la dame pipi, mais il me désigna une grande affiche dans le hall : Paul Kalkbrenner, mon DJ préféré, en concert le 30 avril au Week-End. Je souris à mon tour. Il sera toujours temps de retrouver mon extraordinaire dame pipi.