« Activiste »
du domaine poétique à travers ses fonctions éditoriales – revue 22 Montée
des poètes assortie de la collection les hors-séries du 22 – et,
plus récemment, celle d’animateur d’un marché de la poésie à Lyon, Franck Doyen
avait jusqu’ici délaissé, exceptés quelques passages en revues, son œuvre
personnelle. Il publie coup sur coup deux ouvrages tandis qu’un troisième
patiente dans l’antichambre de la collection Vents Contraires. Mais
intéressons-nous, pour l’heure, à éc/rire/au moment où, qui se
présente sous la forme d’un cahier à spirales. Le titre d’emblée surprend, coupé
en trois tronçons apparaissant en surimpression d’une photographie de filet
troué. Dans « écrire », l’auteur le met immédiatement en évidence, il
y a « rire ». Mais c’est surtout d’elle-même que rit l’écriture, tout
au long de ce livre qui laisse filer ses lignes, sans trouver quelque
foi à leur accorder, les secouant par exemple d’une interrogation pour le moins
déroutante : on pourrait croire en quelque chose un jour non ?
Franck Doyen pousse ainsi « l’écrire » dans ses derniers
retranchements. Sa futilité, voire son inutilité sont évoquées comme le miroir
aux alouettes dans lequel se mire l’écrivain mythique, vu en super héros.
L’entrée en matière est concluante : ce revenir au rien de ce qui
constitue indéniablement le déni de l’écriture et se battre avec contre cela
toute sa vie ben voilà c’est dit je ferais mieux d’arrêter maintenant et
merde ! Mais l’inventeur du « lalangues » persévère dans ses
trouées, ce « moment d’écriture » qui saisit l’écrivain – là encore
« écri » précède « vain » – alors qu’il y a d’abord à vivre
bien d’autres moments sans doute plus réjouissants que celui-ci. Oui, ce livre
manque totalement de foi en lui et ne renonce pas, pour autant, à faire
sillon dans son inutilité même. Il s’agit avant tout, concède
l’auteur, d’une écriture du trou et de la trace. Pour un peu, elle
pourrait faire de la poésie. Franck Doyen n’est pas dupe de ce
« mot/ment » d’écrire. Il n’aime pas les mots qui tiennent au
corps, ceux d’une auto-flagellation et culpabilité judéo-chrétienne.
Il lui faut tenir l’écriture le plus longtemps possible en zone franche,
loin de tout égocentrisme, avec juste quelques touches biographiques ici ou là.
Les multiples variations typographiques du texte en éclatent le sujet, en
déroute le sens. Il reste pourtant, à la fin, l’impression d’un livre compact,
rebelle et attrayant.
©Alain
Helissen
Franck Doyen, Ec/rire/au moment où, Ed.Atelier de l’Agneau, 1 Moulin de la Couronne, 33120
St-Quentin-de-Caplong