Ronde Picarde 2007 : Fier de mon père, fier de mon frère

Publié le 13 septembre 2007 par Julien Holtz

Samedi matin, 6h45, le télphone d'Antoine sonne avec une mélodie techno  pour nous donner d'amblée le rythme. J'ouvre un oeil puis le deuxième ,  je sais qu'aujourd'hui je vais souffrir ... vais-je prendre du plaisir aussi ?

Mon père  avait coché cette date du Samedi 8 septembre depuis le Tour de France. Il y avait emmené son vélo, un magnifique LOOK 595 , qu'il a enfourché plusieurs fois après avoir clos ses directs tv sur les  lignes d'arrivées. Très bien pour décompresser du stress du direct. Les routes de Corse et du tour d'Alsace ont parfait sa condition physique de sexagénaire.

Mon frère Antoine, quant à lui, a une caisse et une classe  innée. Quand il touche à un sport, il sa hisse à un haut niveau  avec un naturel épatant. Un karting il bat David Terrien (champion du monde de kart) lors des 24h du Mans 4 temps, en alpinisme il gravit 2 fois le Mont Blanc et se permet d'épuiser le guide en courant lors de la redescente, au tennis il envoie des pralines, en foot, il a été en huitième de finale de la coupe du monde des jeunes en finlande. Il s'est lancé dans la course avec seulement 250 km d'entrainement dans les 15 derniers jours.

Antoine et "papa", se lance donc avec moi dans la Ronde Picarde 2007, la course  cyclosportive organisée par Sport Communication et popularisée par Henri Sannier (Maire du village d'arrivée : Eaucourt Sur Somme).  188 km de  routes vallonnées, de relances, de bosses, de descentes étriquées, de sueur, de coeur au bord des lèvres, ...

Il y a deux ans,  j'arrivais à finir à 10 min des  premiers.  Cette année, manque d'entrainement, surpoids, fatigue nerveuse ont  limité mes capacités. Je suis parti "en dedans", ça faisait déjà quelque jours que je gambergeais , à me dire que j'allais en chier, qu'il me faudrait m'accrocher terriblement.

Comme je connaissais la course, j'ai expliqué comment cela allait se dérouler, j'ai donné les quelques clés à Antoine pour qu'il ne se sente pas perdu et qu'il chope rapidement les bons réflexes.

7h, le ventre serré, nous déjeunons avec Henri. Les pates ont du mal à passer, je pense à tout ce que je dois prendre. J'enfile la tenue. Une tenue Look  que nous portons fièrement tous les trois pour faire honneur à l'entreprise et aux vélos de Dominique Bergin.

7h30, après avoir graissé ma chaine et vérifié la pression de mes pneus (8kg de pression) sous la caméra de france 3 picardie (Thibaut Rysman a fait un sujet très sympa d'ailleurs) ,  henri sonne l'heure du départ. 8 kilomètres dans le brouillard sur le petit plateau pour rallier Abbebille la ville de départ de la course. Tous les amis de Sannier ainsi que le club d'Eaucourt sur somme arrivent donc au dernier moment pour lancer la course. Nous nous positionnons dans le sas de départ.

8h Top départ, nous faisons les premiers tours de roues sur ... le grand plateau. Je me sens rouillé, fébrile, j'ai le bide déjà en vrac. Je reste dans la roue d'henri et de son fils antoine (tiens comme mon frère !). Mon père et mon antoine suivent aussi. Les coureurs qui veulent jouer la gagne nous doublent à gauche et à droite, la route est un peu humide, nous sommes à plus de 40 km/h de bon matin ... je redoute le 1er virage à angle droit, la première cote ensuite.

Avec papa et antoine, nous ne savions pas ou nous en êtions, avant la course. Nous avions décidé de rester dans le groupe Sannier. Mais dès la première cote, nous sommes montés "à notre main". J'interrogeais papa pour savoir ce que nous devions faire, il me répondit "montons et on les attendra ensuite". Sauf qu'en haut des bosses pour rester dans les groupes il faut relancer et serrer les dents ! Antoine avait mieux grimpé que nous et accroché les roues d'un groupe qui commençait à s'éloigner.

Nous nous sommes rassis et nous avons cherché les roues pour nous abriter. Nous étions 5-6. Virage à gauche, descente dangereuse, pas réveillé, brouillard, route humide. Premier virage : freinage violent que je n'avais pas anticipé, j'ai senti le vélo à la limite limite !!!J'ai vraiment failli me vautrer violent !

Je ne savais pas quoi faire, rouler ou attendre le groupe d'henir. Nous avons roulé avec peu de coureurs devant et derrières nous. Et nous sommes revenus sur mon frère lors de la deuxième côte. Ces côtes  du début de course, je ne les ai pas du tout appréciées. Sans sensations et sans sérénité.  Nous commencions à  former un groupe de valeur égale.  En haut de la 2ème bosse,  Antoine a sauté sa chaine. Il a perdu quelques secondes mais a réussi à rentrer dans le groupe.

En haut des bosses, mon père avait besoin de faire redescendre le coeur, il n'était  pas encore chaud.  Nous avons laissé partir devant nous des dizaines de coureurs  et quand c'était possible nous prenions une roue pour  reprendre un bon rythme.

Bertrand Lavelot  faisait la course en tandem avec sa compagne cette année. Sur la fin de la première heure nous l'avons rattrapé. Il était en compagne de José Vallée,  notre désormais vieux briscard au CSM Puteaux. Il roule sans compteur  et avec des boyaux.  Ils ont "fait le départ" (c'est à dire qu'ils ont roulé comme des brutes pendant les premiers km pour passer la première bosse en tête). Bertrand  m'a demandé de me caler dans sa roue lors d'une descente et  je vous garantis que j'avais une sensation de rouler comme une moto !  Sur les kilomètres suivants,  à la force des deux paires de jambes qui  poussaient le tandem,  ils  nous a ramenés sur des petites paquets devant et grace à lui nous avons formé un énorme peloton lancé sur une moyenne horaire de plus  de 35 km/h.

Au bout  d'une heure  et demi , une heure trois quart je sentais un léger coup de pompe.  Les effets de mon Red Bull avalé à la hate ce matin avant la course s'étaient estompés. Je dévorais alors une barre de céréales, j'engloutissais ce que je pouvais de ma gourde d'Hydrixir saveur thé vert. J'alternais déjà à ce moment de la course les moments de lassitude et les regains de forme ... bizarre bizarre.

En fait j'étais déjà au maximum de ce que je pouvais donner sur le vélo. Manque d'entrainement , 8 kg de plus que 2  ans auparavant. Epuisement nerveux suite à une année plein de rebondissements au boulot avec de très gros projets.

Je n'éprouvais aucune sensation, le paysage je le voyais à peine, les odeurs je ne les sentais pas. Je m'occupais juste à respirer, pédaler, garder la tête haute pour éviter les chutes,  rester dans les roues au maximum et tenir le choc.  Boire aussi, boire beaucoup. J'avais avec moi deux gourdes de 750 ml. Elles sont presque  passées toutes les deux lorsque j'étais sur le vélo !

Je compte les kilomètres qui me séparent  d'Ault, la ville  dans laquelle  nous allons établir le contact avec la mer.  Depuis quelques km,  je suis en dedans dans les descentes, je sens mes  avant bras se tendre, je perds de la souplesse dans mon pilotage, mes doigts sont crispés sur les freins.  Bizarre ...

La descente dans Ault ne fait pas exception, j'étais à quelques longueurs de mon père et antoine dans le peloton. Je  n'étais pas en état pour aller les  rejoindre meme si il ne fallait remonter que quelques coureurs.  C'est donc d'autres concurrents qui les  ont prévenus de passer sur le petit plateau pour enchainer sur le mur d'Ault après  lequel nous nous remettions tous "à la planche" en file indienne  pour revenir et reformer le peloton. J'avais encore les jambes pour monter et grapiller quelques places et revenir à la pédale parfois dans le vent.

J'avais quand même fait attention à ne pas trop me griller dans ce mur car je  sentais des débuts de crampes depuis déjà une demi heure.  Ca n'augurait rien de bon ...  Avoir des crampes au bout de 60 km dans une course de près de 200  km c'est  "un arrêt de mort" ... Avant même d'arriver sur Ault, j'avais donc dit à mon père que je  poserais probablement le pied au ravitaillement au bout de 95 km.  Lui  me disait, ok repose toi deux trois minutes et trouve ensuite un groupe  à ta main.

Sur la route entre Ault et le ravitaillement, 20 km de plat environ.  J'avais réussi à ne pas perdre les roues du groupe  où étaitent antoine et papa mais à quel prix. A plus de 35  km/h de moyenne avec les cotes les plus dures déjà avalées,  j'accusais sérieusement le coup ...  Je ne pensais qu'à m'arrêter au ravitaillement. Je commençais à faire des erreurs dans le peloton : prendre le vent, ne pas maintenir ma position, ne pas rester avec antoine et papa ...  Et ça roulait vite notamment à l'abord de la route à  travers les dunes de sable.  Et  j'avais du mal à ne pas sauter du groupe.  Mes cuisses me faisaient durement souffrir,  j'avais l'impression que des poings fermés me comprimaient les vastes internes.

Panneau "ravitaillement à 1 km" ... ouf ... Papa et antoine ne vont pas savoir que je me suis arrêté ... Au virage où sont postées les tentes et les tables, le peloton passe en file indienne. Moi je me fais comme éjecter par l'arrière et je  baisse les bras.  Une délivrance !  Je commence à descendre du vélo, je lève la  jambe droite pour  dés-enjamber mon cadre. Un  sévère crampe me prends derrière la cuisse , elle me force à  m'asseoir à même le bitumes, le vélo couché sur mes jambes. Un coureur sympathique vient me le prendre des mains pour le poser contre une barrière. Je suis là allongé sur le sol, seul dans ma souffrance, dans mon désarroi et dans un certain soulagement aussi. Les muscles gonflés de toxines,  des boules là où sont les crampes ...

Epilogue : Je suis resté presque une heure au ravitaillement à regarder les coureurs passer et discuter aussi.  Thibaut, mon meilleur ami m'embarque dans sa  voiture de presse,  nous remontons le groupe des Sannier qui va arriver tard mais à bon port !  Puis nous remontons un à un les coureurs jusqu'à 20km de l'arrivée où nous avons retrouvé le peloton que j'avais quitté.  Antoine et papa étaient sacrément fringant !  Il ne leur restait plus que  la cote de Long à franchir, dure dure  après 5 heures de vélo à bloc. Ils ont franchi la ligne ensemble, après 5h26 d'effort mais sans moi  parce que je n'ai pas été à la hauteur. Pas cette année ...  Je suis très fier de vous papa et antoine !