Je dédie cet article à François, qui m'a offert ce livre pour
noël.
Présentation de l'éditeur
Une ville sans parents ? Le rêve ! Et pourtant, la situation n'est pas si idéale... Comment remettre le téléphone en marche, remplir le réfrigérateur, et lutter contre la bande des Pirates
dirigée par le redoutable Oscar ? Avec un peu d'astuce, de bonne humeur et d'organisation, les enfants devraient pouvoir s'en sortir !
Jacqueline Harpman avait imaginé un monde où les femmes vivent
prisonnières des hommes, piètres géôliers qui prennent un jour la fuite sans se soucier du sort de leurs captives, livrées à l'aventure du désert et de la faim (Moi qui n'ai jamais connu les
hommes, Livre de poche).
David Haziot avait imaginé les débuts de la guerre des sexes, une sorte de génèse où Elles (titre du livre paru chez Autrement), les femmes, tentaient de faire croire aux hommes qu'ils
n'étaient pour rien dans leur pouvoir de fécondation : ainsi espéraient-elles les soumettre car comme chacun sait, si l'homme n'est pas conscient de ce pouvoir-là, il n'a conscience d'aucun
pouvoir. Lol.
Il en est d'autres qui inventent volontiers une Créüside, envers et contre l'antique Enéïde que l'on connaît : il s'agit bien sûr de Magda Szabó (L'instant, la Créüside, chez
Viviane Hamy sur lequel Amélie Rouher a encore écrit un chef-d'article et qui paraîtra sous peu dans le Magazine des livres, ou à défaut, sur son blog)
qui nous offre une sorte de rêve androgyne.
Henry Winterfeld fait moins original, moins compliqué sans doute, mais c'est à bon escient : il s'agit d'une petite oeuvre romanesque destinée aux enfants du collège. A partir de là, le contrat
de lecture est signé. Mettez-vous dans la peau d'un pré-ado, et laissez-vous guider.
Les enfants de Timpelbach font des bêtises. Trop sans doute. Jusqu'au jour où les parents n'en peuvent plus et décident de prendre la poudre d'escampette en laissant leur progéniture se
débrouiller toute seule. Il ne s'agit donc pas du récit d'un enfant livré à lui-même, abandonné par des parents ingrats. Ici ce sont les enfants qui sont ingrats, et s'ils sont livrés à
eux-mêmes, c'est pour le bien de tous. Il ne s'agit pas d'un conte à la Dickens où l'enfant terrible devenu vulnérable doit chipper des bouts de pain rassis au coin des marchés. Ici, ce sont les
parents qui sont par dessus tout vulnérables, y compris vis-à-vis d'eux-mêmes. Cette fois, c'est tous les enfants de la ville qui se retrouvent sans guide, sans autorité, sans eau, sans
électricité, sans nourriture... mais avec toutes les clés en leur possession : magasin de jouets, bars, mairie, banque... et j'en passe.
Imaginez le carnage ! Avec un tel pouvoir n'importe quel gamin pillerait à volonté, picolerait ouvertement, casserait, brûlerait... ce serait sans compter sur le pouvoir de l'auteur : faire qu'il
y ait des méchants enfants, dénommés les Pirates, mais aussi des gentils, qui n'hésitent pas à monter un "Comité de défense pour le salut public". Les dés sont jetés, la bataille commence.
Pirates et Comité vont alors s'affronter. Les uns pillant, détruisant, hurlant sans se soucier de l'avenir ou de la faim, pensant avoir acquis à jamais le pouvoir de jubiler. Les autres
plannifiant, hiérarchisant les rôles et les priorités, cueillant patates et jarres de lait pour nourrir toute la communauté, barricadant ce qu'il reste à sauver : croyant fermement que le départ
des parents est une farce, et qu'ils reviendront rassurer leur incrédulité. On repère vite le manichéisme de l'affaire : les gentils sont intelligents, les méchants sont bêtes. Les uns sont
incrédules, les autres le sont avec ce qui est vrai, et ne le sont pas avec ce qui le mériterait. Que voulez-vous, la référence est là : un pirate averti en vaut un demi.
Je ne dévoilerai pas qui avait raison, qui sera le plus fort. Tout le monde sait déjà que la raison et la force seront du même côté.
Je n'avouerai pas non plus... et puis si, que j'ai adoré ce texte, que j'ai beaucoup apprécié le récit servi par Manfred, que je me suis laissée emporter complètement par les aventures de
Timpelbach.
J'ai cependant trouvé le livre trop court, pas assez étoffé. Il aurait mérité plus de profondeur, plus de lenteur pour tout à fait mériter son classement en littérature collège. A mon sens, il
faut s'arrêter à la sixième... et encore, aux gentils sixième...
On l'aura compris, ce petit roman est gentil : nul enfant ne déscend les bouteilles de whisky (même Harry Potter se saoûle à la bièraubeurre), nul incendie, nulle félonie. Un roman, donc, à lire
de 10 à 13 ans, et de 30 à 100 ans pour les autres. Entre les deux, nous sommes tous des pirates.