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Loi Bachelot: c’est l’hôpital qui se fout de la charité

Publié le 29 avril 2009 par Innommables

Tu te souviens de ce patient dont je te parlais, il y a peu, dans ces pages?

Le malheureux bonhomme, un sexagénaire "sans domicile fixe" (ou SDF, car les acronymes ont cette salutaire vertu qu’ils masquent aussi efficacement la misère que le bidonnage des chiffres officiels), le malheureux bonhomme, donc, s’est rendu aux urgences d’un grand hôpital public de banlieue pour cause de boule dans la gorge résistante aux antibiotiques, d’amaigrissement inexpliqué et d’hémoptysie (oui, j’aime placer des termes scientifiques dans mes billets, ça me donne l’illusion de détenir un certain savoir et ça compense légèrement mon incapacité totale à préparer une simple tarte aux pommes).

Après avoir attendu quatre heures, il lui a été signifié qu’on ne pouvait décemment pas lui prodiguer l’examen requis, étant attendu qu’il ne disposait ni du précieux sésame qu’est la Carte Vitale, ni même du petit rectangle de papier attestant qu’il bénéficie bien de la Couverture Maladie Universelle.

- Mais…je fais quoi, moi? demande alors notre gueux, perplexe.
- Appelez l’assistante sociale du service, on verra ce qu’elle peut faire.

Aussitôt dit, aussitôt fait: madame l’assistance sociale est mandée séance tenante sur les lieux. Après une longue et âpre négociation, le chirurgien accepte de recevoir le patient, rassuré de savoir qu’une facture en bonne et due forme sera adressée dans les meilleurs délais à cet effronté manant qui a le culot (que dis-je, l’outrecuidance) de venir demander des soins alors qu’il ne dispose d’aucun moyen de payement digne de ce nom "(Maryse! Vous direz aux gens du foyer pour indigents qu’ils commencent à nous les briser menu, à nous envoyer des loqueteux sans Carte Vitale! On n’est pas au Secours Catholique, ici!").

Quelques pintes de sang et plusieurs mètres de tuyau enfoncés dans la gorge plus tard, le diagnostic tombe, sans appel et tranchant comme la lame d’une guillotine en Place de Grèves:

- Monsieur, c’est un cancer. Voilà une liste d’examens à effectuer dans les plus brefs délais, débrouillez-vous pour les faire dans le privé, puis revenez me voir, on vous hospitalisera si vous avez récupéré votre Carte Vitale.

(Ici, je me permets d’interrompre ta lecture et de te préciser, une nouvelle fois, que nous avons affaire à un hôpital public, situé dans un département défavorisé.)

Nous voilà donc partis pour des heures de recherche fastidieuse à travers notre belle et riante cité, puisqu’il nous faut désormais trouver un laboratoire, un centre de radiologie et un cardiologue privé qui accepteront d’effectuer les examens que monsieur doit faire avant d’être hospitalisé.
Routine, me dis-je, pipi de chat et jeu d’enfant: la ville regorge littéralement de professionnels de santé compétents, qui se feront un plaisir de recevoir le patient (vu que, tout de même, il ne souffre pas d’une banale grippe, même porcine, et qu’à voir sa tête, on peut légitimement craindre qu’il ne vienne à claquer subitement, là, comme ça, tout debout, sur le pavé).

Grossière erreur.
Pas de Carte Vitale? Pas d’attestation de CMU?
Alors pas d’examen, monsieur, faut pas non plus nous prendre pour des cons, ou pire, pour une annexe du Secours Populaire.

Je te passe les détails.

Quelques centaines de grossièretés hurlées à la face bovine de laborantins (et de radiologues consternés) plus tard, et Dieu n’étant pas, ce jour-là, parti à la pêche au gros ou au bordel le plus proche (il paraît que Dieu a créé l’Homme à Son image, je me figure donc que Dieu et l’Homme doivent avoir à peu près les mêmes loisirs en période creuse), nous finissons par rassembler les pièces médicales nécessaires (tu as vu comme je dis ça bien? "Les pièces médicales nécessaires", je devrais me reconvertir dans le secrétariat hospitalier, fais-moi penser à demander un bilan de compétences).
Il s’agit donc de rappeler le chirurgien et de lui annoncer la bonne nouvelle.

- Docteur, ayé! Monsieur Machin a fait tous les examens que vous demandiez! Il est fin prêt! Dès qu’on aura récupéré les résultats, je vous l’envoie!
- Il a retrouvé sa Carte Vitale, aussi, monsieur Machin?
- Pas encore, docteur, mais j’ai tellement tapiné auprès de l’employée de la Sécu qu’elle devrait nous envoyer une attestation dans les 48 heures, avec en prime un bouquet de fleurs et une boîte de Ferrero.
- Vous lui avez graissé la patte?
- Non docteur, je me suis inspirée du jeu de John Hurt dans Elephant Man.
- Connais pas.
- Ben ça ne m’étonne qu’à moitié. C’est l’histoire d’un toubib qui a du coeur.
- Bon, ben de toute façon, faut que je vous laisse, je vais à la manif’ parisienne contre la loi Bachelot.
- Ah.
- Vous en êtes? Départ groupé dans une heure devant l’hôpital. Hors de question qu’on laisse ce travelo décérébré saper les bases de l’hôpital public, bordel! Et puis quoi encore? Priver les plus pauvres d’accès aux soins? Faire une sélection chez nos patients? Rentabiliser la médecine? Over my dead body, putain!


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