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Karel Esgoch vient de publier un ouvrage, toujours dans la même maison d'édition. C'est très difficile de se le procurer et c'est dommage car une fois ouvert, on ne parvient pas à s'extraire de cette lecture. Pourtant, Karel Esgoch est un type très ordinaire. Rien dans son existence ne paraît être à l'origine de son inspiration. On ne peut pas dire qu'il fasse partie de ces auteurs qui volontairement se cachent pour mener une vie anonyme, maintenant porte close devant les sollicitations des journalistes ou des admirateurs. Ces mêmes informations le concernant livrées par la 4ème de couverture reviennent à l'identique ainsi que cette photographie où il apparaît sans âge. Ainsi, il semble déterminé à ne vieillir que par le truchement du monde qui l'entoure. Ce n'est pas lui qui change mais plutôt nous. La coquetterie de l'auteur qui au fil des ans réussit à convaincre sans mal son éditeur de conserver ce portrait de sa jeunesse nous éloigne de lui.
Ce qu'il nous raconte de sa vie confirme bien qu'elle pourrait bien être exactement la même que la nôtre à condition que nous soyons descendus du bateau. La mer s'est formée, nous sommes sur une chaloupe, sans nous être rendus compte du danger. Esgoch s'y entend pour que l'on comprenne qu'on ne sortira pas de cette lecture avant d'être secourus. Sauvés. Dès les premières lignes, nous voilà plongés dans une atmosphère indescriptible, ne nous blâmez pas pour ce topos.
Point n'est besoin de citer les grandes plumes qui viennent immédiatement à l'esprit du rescapé, Homère, Sagan, Marc Lévy ou Julien Coupat. C'est plutôt du côté de la philosophie qu'il faudrait verser ou des penseurs plus politiques, Max Gallo, Max Broch et pourquoi pas Mad Max. Toutes ces références ne sont rien face à la puissance créatrice de Karel Esgoch qui s'installe dans une poïétique de la femme asphyxiée, rejoignant ce faisant délibérément la lignée d'Althusser et de Tintin, tandis que retentit un air d'opéra.
En dire plus serait pire pour le critique droitier que se couper le bras gauche. Dévoilons cependant les derniers mots de l'ouvrage, si le lecteur n'est pas rendu aveugle par un tel matos, c'est qu'il erre tel un Oedipe viennois dans la salle d'attente du physiologiste Joseph Breuer : "Le Docteur ne reçoit plus sans rendez-vous." photo : Jef Safi