Rappelez-vous, c'était ... il y a trois ans : la planète, paralysée par une peur indicible, découvrait que les canards, poulets et autres volatiles pouvaient nous faire chopper des maladies qui faisaient mourir un peu parfois. Avec le bug de l'an 2000 et le SRAS en 2002, tout semblait pointer vers des millions de morts...
A ce propos, l'aspect régulier des pandémies qui n'en sont pas devrait probablement me pousser à faire une catégorie spéciale dans ce blog, tiens. Elle serait d'un usage modeste, une ou deux fois tous les deux ans environ, mais permettrait d'étudier la sédimentation des articles de presse.
Par exemple, on trouverait ceci, sur la Grippe Coin-Coin :
En Novembre 2004, Shigeru Omi, directeur régional de l'OMS estimait que les évaluations les plus prudentes font état de sept à dix millions de morts, mais le maximum pourrait être de cinquante millions ou même, dans le pire des scénarios, cent millions.
Voili, voilà, 100 millions de morts théoriques. Vu d'ici et avec les 257 morts effectifs, en plusieurs années, ça fiche les miquettes. Pas sur le taux de pénétration du virus. Pas non plus sur l'efficacité redoutable des moyens mis en œuvre. Non. Ca fiche les jetons parce que si on panique pour 257 morts, on peut se demander ce qu'il devrait en être pour, par exemple, les accidents de la route, la malaria, les cancers, les (bêtes) grippes de base, le choléra, la dysenterie, la polio, etc...
Le cochon-masqué : plus de peur que de mal
Mais non : la tourista, le caca mou et la fièvre typhoïde, les cancers, tout ça, ça ne fait pas peur. On sait ce que c'est. A côté de la Grippe Coin-Coin ou la Grippe Grouik-Grouik, médiatiquement, ça ne fait pas le poids. Et bien que la criiiiise commence à prendre de l'ampleur en foutant 250.000 personnes de plus sur le carreau (malgré grâce aux actions vigoureuses du gouvernement) en trois mois, on va faire les manchettes sur les attaques du Cochon Masqué.
Et celui-là, au contraire des autres animaux pestiférés, est bien plus vendeur : il se transmet d'humain à humain (comme la grippe). Et parfois, des gens meurent (comme pour la grippe). Mais les hospitalisations permettent de bien traiter la maladie surtout lorsqu'on sait ce que c'est (comme la grippe).
En somme, c'est une bête grippe, mais qui fait peur parce qu'elle viendrait du cochon. Et comme ce facétieux passage du porcin à l'humain se produit en réalité de façon régulière depuis des décennies, on en déduit que tout ceci, ... ce n'est pas du cochon, c'est de l'art. L'art d'entuber les foules, de faire trembler dans les chaumières, d'obtenir des sous-sous dans la popoche des grandes institutions nationales et internationales médicales, tout en redorant le blason terni des états qui, je vous le rappelle, nous protègent si bien et sans lesquels nous serions tous tout nus, tristes et perclus de chtouilles diverses.
Evidemment, je n'en suis pas à dire que les autorités sont rigoureusement inutiles, ou qu'aucune précaution ne devrait être prise. Cependant, je ne suis pas sûr que la pondération, le calme et la sérénité présidant à toute préparation d'envergure soient bien présents dans l'esprit des dirigeants ou des journalistes. On y sent plutôt la fébrilité, une bonne dose d'affolement bien calibré, des agitations bien voyantes et des rapports au minimum inquiétants.
Mais le mieux, c'est surtout ce qui suit ces anxieux bouillonnements politico-médiatique : une fois évoqués les cas suspects ou avérés avec force détail sur la couleur des glaires des malheureux, puis passés en revue les scénarios les plus pessimistes (unité de mesure : le million de morts), on attaque les déclarations analgésiques des Gens Qui Savent : "Tout va bien, ne vous inquiétez pas. Moyennant plus de moyens et plus de soussous, cette épidémie qui a déjà fait près de - shock & awe - 90 morts ! - insérer ici du trémolo dans la voix - sera endiguée." Et en avant les flonflons et la musique patriotique : la terrible maladie est vaincue, les enfants sont sauvés, les gorets peuvent à nouveau gambader dans la nature, La Fraônce est sauvée.
Heureusement, l'état est là !
Mieux que ça, la Fraônce montre le chemin ! Elle éclaire le monde, Ze Ouorld, de la flamboyance de son Système De Santé Que Tous Nous Envient, avec son infrastructure sexy et ses stocks aux courbes affriolantes. C'est pas moi qui le dit, c'est le ministre :
« La France est sans doute l'un des pays les mieux armés au monde parce que nous avons préparé avec beaucoup de sérieux les risques de grippe aviaire et que nous avons donc à la fois des infrastructures et des stocks de matériel qui nous permettent de faire face à une éventuelle épidémie », a expliqué hier le Premier ministre, réaffirmant qu'il n'y avait pas de « cas avérés » dans le pays.
Eh oui : comme d'hab, on est (sans doute) Les Meilleurs. Nous voilà entièrement rassurés.
D'ailleurs, avec notre infrastructure si bien armée, on se demande encore comment autant de gens peuvent chopper la légionellose dans le pays. Ou la grippe (la standard, collection automne-hiver). J'irai même plus loin : avec toutes les infrastructures qu'on a, et tout le stock de Commissions, Comités, Agences et autres Organismes, on ne devrait pas non plus pouvoir chopper La Crise ou Le Chômage ! Et si on considère le stock d'enseignant et l'infrastructure d'éducation dont l'état peut s'enorgueillir, il devient proprement consternant que nous attrapions le Syndrome d'Illétrisme Aigü, ou l'Orthgraphite Rachitique Fulgurante.
Pourtant, le pays semble bien rongé par les faillites, le chômage, un système de santé dont l'état comateux est trop avancé pour espérer une quelconque guérison, un système de retraite qui prend le même chemin, des médias rythmés par les foirades de Libération et une vie politique palpitante comme un texte de Carla Bruni...
Allons. Ne nous laissons pas abattre. Ce n'est pas parce qu'en tout ces domaines, l'Etat a montré sa stupéfiante capacité à se surpasser dans la médiocrité qu'il en sera de même avec une épidémie dont on se demande exactement pourquoi elle affole tout le monde. Ceci posé, il est dès lors indispensable d'abonder dans le sens commun, et de souscrire sans hésitation à toute demande de moyens supplémentaires de la part des institutions qui en réclameront.
Et ainsi, de subvention en taxation, d'augmentation de moyen en accroissement de l'intervention, de ponctions en impôts, vous participerez, vous aussi, à l'effort international pour éradiquer cette maladie qui a déjà fait plus de 80 morts ; et vous aussi, vous pourrez dire :
« La cochonite, elle ne passera pas par moi ! »