Julien Coupat dort toujours en prison. Accusé d'être l'auteur (ou au moins le complice) de la pose de fers sur les caténaires d'une ligne électrique de TGV, il est le seul du groupe dit des neuf de Tarnac à continuer de croupir en prison depuis huit mois sans qu'aucun aveu, aucun indice matériel ne puissent être mis à l'actif de l'accusation.
En réalité, les policiers le soupçonnent d'être l'un des auteurs d'un livre « l'Insurrection qui vient » dont l'éditeur a été interrogé à plusieurs reprises dans le cadre de l'enquête en cours. Ce livre rédigé par un comité invisible est un brûlot. On connait l'éditeur (La Fabrique) mais on ne sait rien des rédacteurs d'un texte considéré comme subversif par le pouvoir. Coupat possédait ce livre dans les rayons de sa bibliothèque et c'est l'une des causes de son maintien en prison.
Il y a pire. Je viens d'avoir la confirmation, de la part d'un ami libraire à Paris, que des policiers lui ont suggéré de dresser la liste de ceux et celles qui achéteront ce livre. Et évidemment de la leur faire connaître. J'ai confiance dans cet ami libraire. Les faits sont donc avérés. Je propose à un député socialiste — pourquoi pas François Loncle ? — d'interpeller le gouvernement à l'occasion d'une question orale pour que la ministre de l'Intérieur «justifie» si elle le peut cette atteinte à la liberté intellectuelle et à la liberté tout court.
Pourquoi ce livre est-il si dangereux ? Voilà la réponse de l'éditeur : «Le Comité invisible croit au contraire que tous les remous qui agitent la surface du présent émanent d'un craquement tectonique dans les couches les plus profondes de la civilisation. Ce n'est pas une société qui est en crise, c'est une figure du monde qui passe. Les accents de fascisme désespéré qui empuantissent l'époque, l'incendie national de novembre 2005, la rare détermination du mouvement contre le CPE, tout cela est témoin d'une extrême tension dans la situation. Tension dont la formule est la suivante : nous percevons intuitivement l'étendue de la catastrophe, mais nous manquons de tout moyen pour lui faire face. « L'insurrection qui vient » tâche d'arracher à chaque spécialité le contenu de vérité qu'elle retient, en procédant par cercles. Il y a sept cercles, bien entendu, qui vont s'élargissant. Le soi, les rapports sociaux, le travail, l'économie, l'urbain, l'environnement, et la civilisation, enfin. Arracher de tels contenus de vérité, cela veut dire le plus souvent : renverser les évidences de l'époque. Au terme de ces sept cercles, il apparaît que, dans chacun de ces domaines, la police est la seule issue au sein de l'ordre existant. Et l'enjeu des prochaines présidentielles se ramène à la question de savoir qui aura le privilège d'exercer la terreur ; tant politique et police sont désormais synonymes. »