Mardi dernier, après le congé pascal, vous étiez nombreux au rendez-vous que je vous avais fixé ici, dans la salle 4 du Département des Antiquités égyptiennes du Musée du Louvre,
devant la vitrine 10.
Nous y avons, souvenez-vous, en plus de succinctement évoquer le précieux site de Deir el-Médineh, détaillé ensemble les quelques ustensiles exposés sur le panneau
mural, en nous promettant de plus spécifiquement consacrer un moment important aux trois houes qui, devant nous, sont chacune posées sur un pied métallique.
C'est d'elles donc, et au questionnement que ce type d'outil suscite chez les égyptologues quant à son utilisation, que je voudrais aujourd'hui vous entretenir.
De droite à gauche, nous avons :
N 1394
(Manche : 71 cm; soc : 48,50 cm)
E 19184
(Manche : 73,50 cm; soc : 62 cm)
et AF 9679
(Manche : 47,50 cm; soc : 35,50 cm)
Toutes trois datent du Nouvel Empire, celle du milieu provenant comme d'autres objets ici de Deir el Médineh, à l'époque de Ramsès II.
Toutes trois aussi présentent approximativement la même configuration générale que reflète d'ailleurs le hiéroglyphe qui en est l'image (U 6 de la liste de Gardiner
Car si, de toute évidence, vous pensez directement à la houe en tant qu'instrument aratoire - ce que la présence de ces trois exemplaires, ici dans cette
salle, tendrait à corroborer -, il n'en demeure pas moins que différents corps de métier s'en servirent à des fins tout autres : je pense par exemple à cette scène de la tombe du
vizir Rekhmirê (TT 100), à Gournah, qui nous montre un ouvrier l'utilisant pour confectionner les briques crues dont les maçons auront besoin pour construire une maison; je pense aussi à
ceux qui creusaient soit les bassins ou les canaux d'irrigation destinés à amener l'eau bienfaitrice au-delà de la zone agricole habituellement inondée par le Nil; je pense enfin à
ceux auxquels était dévolu le rôle de préparer les tranchées de fondation d'un temple ...
Quoiqu'il en soit des différentes exploitations de cet outil aux multiples fonctions, la houe - que certains égyptologues appellent aussi pioche -, resta tout au long de
l'histoire égyptienne, et même bien après, sous d'autres cieux, un outil extrêmement rudimentaire qui, dans la seule fonctionnalité des travaux agricoles, fut de toute évidence à
l'origine de l'araire.
Déjà présente dès la Ière dynastie pharaonique, elle peut toutefois se décliner sous deux aspects : soit avec un soc en pointe, comme sur le dernier
exemplaire, à gauche dans la vitrine (AF 9679), soit avec un se terminant par une partie plus large, aux angles sensiblement arrondis : c'est le cas ici de celle du milieu (E 19184).
Nous retrouverons fréquemment par exemple, ailleurs dans le Musée, les deux types ainsi différenciés dans les mains des ouchebtis. J'aurai l'occasion d'y revenir un peu plus tard
...
D'après certains égyptologues, la forme large du soc devait probablement permettre de détacher les mottes de terre assez volumineuses qui pouvaient se présenter en
terrain sec alors que celle plus pointue servait certainement à réduire leur dimension.
Je voudrais, ici et maintenant, introduire cette notion d'interrogations suscitées par la houe en tant qu'instrument agricole auxquelles j'ai d'emblée aujourd'hui fait
allusion.
Vous vous souvenez probablement, ami lecteur, de cette scène de labour, fragment peint de la chapelle funéraire d'Ounsou, exposée de l'autre côté de la vitrine
devant laquelle nous nous retrouvons, et que nous avions ensemble découverte le 2
décembre 2008. Je vous propose de nous la remettre en mémoire
...
Sans entrer dans plus de détails à l'époque, parce que j'escomptais bien vous en reparler, je vous avais expliqué que, telle qu'elle était
présentée, il était manifeste que les paysans de cette scène qui maniaient la houe, à gauche, au registre inférieur, préparaient le terrain en cassant les mottes de terre un peu trop épaisses, et
ce, AVANT le passage de l'araire, à droite. Cette explication d'alors traduisait en fait une opinion communément admise par certains égyptologues.
En revanche, d'autres, analysant semblables représentations de la même scène du travail de la terre avancent une hypothèse quelque peu différente; que je vous soumets,
sans vraiment prendre position et en laissant à votre réflexion, à votre sagacité, le soin d'éventuellement trancher entre les deux.
D'aucuns en effet soutiennent que c'est APRÈS le passage d'un araire destiné à creuser les sillons initiaux qu'avec la houe ils brisaient les mottes gênantes
qui s'étaient formées sur ce sol détrempé par l'inondation bienfaitrice.
Détail de puristes, penserez-vous, qui ne change pas vraiment grand-chose au problème. Je vous l'accorde, sauf que dans un cas, houe et araire servent à préparer le sol
avant l'arrivée des semeurs (dont un est ici représenté jetant les graines d'un geste large), tandis que dans l'autre, houe ou araire interviennent après les semeurs aux fins d'enfouir les
semences en les recouvrant de terre.
Les tenants de la seconde hypothèse arguent de deux faits pour étayer leurs propos :
1. Dans certaines tombes, il appert que le semeur précède l'attelage des bovins qui tirent l'araire. Dès lors, cela signifie à leurs yeux que le paysan qui ne dispose pas des traditionnels
moutons ou des porcs pour piétiner le sol et enfouir les semences se sert bien de cette charrue primitive pour effectuer ce travail nécessaire.
2. Dans certaines tombes également, et je fais ici plus précisément allusion au mastaba de Ti, à Saqqarah, les textes hiéroglyphiques qui accompagnent la scène de labour précisent, de manière
très explicite, qu'il faut recouvrir les grains (les semences) avec l'araire ("seka em heb") ou qu'il faut recouvrir avec la pioche ("seka em
henen").
J'ajouterai aussi un troisième argument en faisant référence au texte de la Description de l'Egypte, ce monument encyclopédique de première main publié au début du XIXème siècle, après l'expédition de
Bonaparte sur les rives du Nil, dans lequel on peut découvrir qu'après plusieurs milliers d'années, les fellahs rencontrés continuaient encore à utiliser le même type de houe et le même type de
charrue légère qu'était l'araire à l'époque pharaonique pour effectivement procéder aux mêmes travaux.
Pérennité de gestes antiques, pérennité d'instruments millénaires ...
(Andreu : 2002, 95; Desroches Noblecourt : 1981, 210; James :
1988, 109; Montet : 1925, 183 sqq; Vandier : 1978,
passim)