Puisque les réunions officielles sont parfois écourtées, elles permettent de prendre le temps de revenir sur ses pas. Cela faisait longtemps que je n’étais plus venu participer à une réunion officielle dans les locaux du Ministère de la Culture espagnol. Quatorze années exactement ! Nos hôtes avaient très obligeamment réservé une chambre dans la Calle dos Infantes, une rue étroite, parallèle à la Gran Via et située à deux pas de la Plaza del Rey où siège le Ministère.
De ma chambre je voyais donc aller et venir les fonctionnaires d’un ministère intangible mais dont les ministres changent pourtant bien souvent. Angeles González Sinde, ancienne présidente de l’Académie du cinéma espagnol (organisatrice des Goyas) a été nommée le 8 avril dernier en remplacement de César Antonio Molina, lui-même ancien Directeur des Instituts Cervantès.
On passe ainsi de la littérature et de la langue parlée et écrite, au langage de l’image animée. Une bonne occasion pour faire un sondage à la FNAC pour trouver quelques DVD…J’y reviendrai.
Mais si vous regardez un plan de Madrid vous vous apercevrez que la Calle en question vous invite soit à descendre vers le Cercle des Beaux-Arts, l’Institut Cervantès, justement, tous deux situés Calle de Alcalá, avant de déboucher vers le Paseo del Prado. J’aimerais là aussi en reparler, car il y avait longtemps que je n’avais plus visité le Prado et la visite qui nous a été offerte était un vrai bonheur !
Si vous regardez bien, vous vous apercevrez surtout qu’elle borde un quartier dans lequel je ne m’étais pas encore aventuré : Chueca. Fermé à l’Ouest par la rue de la mode jeune, la Calle de Fuencarral et au Nord et à l’Est, par les Calle de Sagasta et de Génova.
Dans Chueca de nuit, les bars et les restaurants font leur plein, tandis que des cortèges de couples s’embrassent et se tapent voluptueusement sur les fesses, femmes gentiment masculines et hommes le plus souvent joliment féminins. Un turn-over comme on en voit dansbeaucoup de capitales de l’Ouest, mais sans ostentation, avec même une sorte de tendresse naturelle qui dit que la société espagnole a ouvert d’autres espaces.
A se demander si le cinéma d’Almodovar, comme plus récemment celui de Javier Fesser que je viens de découvrir, ne sont pas que les fronts avancés et souvent violents par les situations qu’ils présentent, des vagues un peu déferlantes, rendant insupportable, film après film, et pour tout dire, chef-d’œuvre après chef d’œuvre, ce qui a contraint si longtemps la morale de la société espagnole ?
Des vagues hautes et qui frappent fort, auxquelles à succédé une marée douce, dans une existence évidente, tranquille, rythmée de jours ensomeillés et de nuits vibrantes…au moins dans le centre du centre de l’Espagne !
Si la Place du 2 mai se trouve ancrée là, avec au milieu un monument destiné à rappeler l’année 1808, on se dit que c’est bien d’une autre révolution dont on parle, plus proche et qui décalque le quartier des Archives à Paris. Pour ce qui concerne 1808, les deux tableaux de Goya, récemment nettoyés et un peu méconnaissables, pour tout dire moins sombres, mais d’une violence plus solaire, reviennent sur le devant de la scène aussi souvent que possible dans nos mémoires de Français un peu honteux de se souvenir qu’on n’impose ni un ordre nouveau, ni un empire, par le massacre ! Napoléon nous poursuit.
Dans Chueca de jour les ouvriers de la voierie s’affèrent. Tout est défoncé et tremble sous les coups des marteaux piqueurs. Est-ce une manière de transformer bientôt en luxe bobo ce qui est encore mélangé de populaire, de petites épiceries et de boutiques de mode où quelques créateurs solitaires dénotent par rapport aux grandes marques. Le complexe du quartier des Archives et de Beaubourg ?
En tout cas, même si le bruit et la poussière étaient au rendez-vous d’un temps pourtant un peu humide, je me suis laissé prendre par le dédale et laissé surprendre par les vitrines, autant que par les passants et les habitants. Ne vous étonnez pas en tout cas si ce jeune homme aux cheveux verts qui va acheter des pâtisserie tient en laisse deux caniches permanentés aux boucles roses. De fait, personne ne s’en étonne.
De mes précédents voyages, où les enfants, enfin je veux dire les jeunes m’avaient donné des clefs ; j’avais retenu le charme de La Latina et du marché que j’ai déjà évoqué, du quartier de l’Opéra et du Palais Royal, de la Plaza de Espana, de la Puerta de Toledo et de Lavapiès. Ce centre en coquille où la Puerta del Sol commande à toutes les directions est déjà tout un monde et j’y suis bien entendu revenu, pas à pas, trace sur trace, et je me suis aventuré aussi vers le grand Est, dans les espaces du Parque del Retiro, enrubanné de musique afro même en pleine semaine. Un an après une autre semaine Sainte…cette fois juste après les Pâques.
Pourquoi m’ont-ils alors laissé dans l’ignorance de cet îlot de Chueca ? Par pudeur ? Je ne crois pas. Mais leur movida à eux était certainement ailleurs…et les bars de Madrid, comme ceux de Santiago ou de Granada, accueillent des cercles qui ne se recoupent pas toujours…
J’avais déjà fait mes adieux à Madrid l’été dernier. Enfin l’adieu au Madrid où Marie a vécu heureuse, puisque je savais qu’elle quittait la ville…
Je vois bien que j’ai d’autres Madrid à découvrir, encore et encore. Et quand je marche là, il me plaît de savoir ma fille à côté de moi…en tout cas, j’ai envie de lui raconter.