OutKast - Speakerboxxx / The Love Below (2003)

Publié le 27 avril 2009 par Oreilles
Le regretté Nikola Acin avait raison : s'il fallait ne posséder qu'un disque estampillé rap dans sa discothèque..... _
Et par extension, s'il fallait n'en avoir que 7 (6 albums + 1 compilation), cela permettrait de couvrir la discographie intégrale du génial duo d'Atlanta. En outre, se rendra-t-on compte au passage, à quel point le terme "rap" paraît réducteur, quand il s'agit d'encapsuler l'oeuvre d'OutKast.
Merci à Beauf de m'avoir fait prendre le train en marche. Car en 2003, lorsque paraît ce recueil - que dis-je ce n'est pas un recueil, c'est une somme, un pavé.......c'est une encyclopédie - le duo est déjà multi-platiné, reconnu de la critique et de ses pairs depuis une décennie, grâce notamment à son précédent grand oeuvre, Stankonia (2000).
Moins old skool que tout ce qu'il a pu proposer jusqu'alors, même si l'oeuvre est riche de circonvulations allant bien au-delà de la simple musique noire, Speakerboxx et The Love Below proposent deux albums en un, l'un plus foncièrement "hype" hop et bling bling, oeuvre de Big Boi, l'autre plus soul, jazzy et introspectif et davantage hip "pop", dont le démiurge est Andre 3000.
Mais comme on va le voir, il existe entre les deux disques des passerelles qui permettent de mieux appréhender l'influence et la participation plus active que guest des compères dans la création de l'autre ; et ceci est probablement ce qui justifie l'appellation OutKast du projet, plutôt que la juxtaposition de deux albums solo.
Passons sur le monumental "Ghetto Muzik", que tout le monde connaît, et que Prince , à l'époque où il savait encore défricher de nouveaux sons, aurait pu s'approprier, pour observer plus avant le passionnant fourre-tout de Speakerboxxx. Nombre d'intervenants vocalistes viennent faire entendre leur organe ; ainsi Sleepy Brown sur le très Marvin "The Way You Move". Plus que sur le parti-pris old-skool, finalement peu représentatif du son Outkast que l'on peut observer sur "Tomb Of The Boom", c'est davantage du côté d'un funky de grande classe façon Ohio Players que vont loucher le très sexy "The Rooster" (coq, c'est-à-dire "bite" en slang), ou la trilogie "Bust", "War" et "Church".
Pour souligner l'éclectisme sous-jacent de cet album, une piste telle que "Reset" ravira Emmanuel, défenseur entre tous du vénéré (à moins que ce ne soit vener ?) son Fender Rhodes : un titre qui avait à n'en pas douter sa place sur The Love Below.
The Love Below, plus long, est un feu d'artifice, en ce sens qu'il offre un panorama global de ce que la musique afro américaine a su proposer au siècle dernier, mais aussi et de manière beaucoup plus vaste, de la musique pop(ulaire) en général. Du chant crooner swing avec voix de fausset de "Love Hater", l'auditeur ébahi assiste à l'extase d'Andre 3000 face à Dieu qu'il imagine sous les traits d'une fille sublime ("God"), sous un tapis d'arpèges diminués acoustiques, et c'est simplement beau. "Happy Valentine's Day" et ses accords plaqués irrésistibles sont une offrande au déhanchement. Le jazz affleure sous la rhytmique trépidante de "Spreads", tandis que "Prototype" est une superbe ballade soul atmosphérique avec nappes de synthé.
Les choeurs féminins, tantôt suaves, tantôt bitch chauffent leur homme sur "She Lives In My Lap" qui n'eût pas déparé sur Speakerboxxx, preuve supplémentaire de la complémentarité des deux disques. _
Passons sur "Hey Ya", autre grand morceau pop tubesque, présent en fond sonore dans 1 documentaire sur 5 (les 4 autres étant des morceaux de Massive Attack, Beck, Portishead et Air !) pour nous attarder sur "Pink And Blue", curieux morceau new wave que n'aurait pas renié une Siouxsie et ses Banshees des débuts ; pour un peu, la noirceur corback l'emporte là sur le feeling black !
Ledit feeling revient vite à la faveur de la voix de tête très Curtis d'Andre sur "She's Alive", ou bien encore sur l'entêtant "Dracula's Wedding" sur lequel la parfaite Kelis nous avoue sa peur des vampires. Le temps d'assister à une relecture breakbeat géniale du "My Favorite Things" de Coltrane (s'il fallait une preuve supplémentaire que ces gens-là ont du goût !), et d'entendre une nouvelle fois Andre 3000 roucouler avec la belle Norah Jones sur "Take Off Your Cool", et l'odyssée s'achève, après un très inquiétant "Vibrate", et un très hum, humble instru final qui cite les Beatles.
D'ailleurs, ce dyptique a été comparé au Double Blanc, pour cette manière de collaborer en se tournant le dos, cette façon d'interférer dans l'univers de son binôme, tout en lui concédant une fausse liberté, ce parti-pris de composer aussi à la manière de l'autre. On ne saurait trouver plus juste description de ce disque majeur.
Depuis, Outkast n'a plus sorti que l'épatant Idlewild (2006), qui pour son malheur, ne fut qu'excellent.
En bref : il serait vain d'user de la sacro-sainte formule de "disque qui compte parmi les 10 meilleurs de l'histoire de la pop au sens large", vu qu'il s'agit sans doute... de l'un des 5 meilleurs. Mais tout n'est que rhétorique face à ce parfait mastodonte, véritable crossover d'une époque métissée qu'est ce Speakerboxxx/The Love Below. On se contentera de "chef d'oeuvre".

_
le site, le Myspace _

"Reset" (extrait de Speakerboxxx)

"God" (extrait de The Love Below)

"Dracula's Wedding" (extrait de The Love Below)