De quoi s’agit-il : deux auteurs + un, deux villes, Gênes et
Palerme, deux hôtels, le Ponte et le Reale et un sous-titre ″Fictions et photographie″.
Chacun des deux auteurs, en quelques pages (toujours en regard d’une photo de
chambre, de couloir, de hall, d’ascenseur), propose une sorte de parcours dans
des lieux étrangement figés (« cette chambre est vide, étouffée de
vide »), où le temps semble complètement arrêté, ce qui constitue une
sorte de redondance par rapport à la photo, temps doublement arrêté par
l’écriture et par les photos de Bernard Plossu. Redondance aussi à l’intérieur
du travail du photographe puisque si par nature, la photographie arrête le
temps, ces photos-là, par le cadrage, la lumière, donnent à voir littéralement
du temps figé, du temps englouti, dans une optique qui serait celle d’une
catastrophe qui n’aurait rien dégradé mais tout arrêté, une sorte de Pompéi
sans destructions.
Face Viton et Palerme, une quête sur les traces de Raymond Roussel et du lieu
de son suicide ou de sa mort à la suite d’un excès de barbituriques en 1933.
Avec tout un système d’échos et de résonances, d’identifications, d’autant plus
fort que les images de Bernard Plossu semblent s’y prêter complètement.
Versant Giraudon et Gênes, de nouveau un hôtel, une sorte d’autofiction,
construite sur un jeu avec le temps un peu énigmatique et placé sous le signe
du basilic (« comme des comptines, les chambres de passage sont des
instruments du destin ») ; des accents fugitivement proustiens
à partir de réminiscences de ce qui semble avoir été la vie d’un groupe de
jeunes gens, autrefois, dans cette pension, maison, albergo Reale :
« c’est toute la ville comme l’existence que nous y menions que je
retrouve, stockée en transparence, dans le cliché de cette chambre ». Le
« stockée en transparence » semble ici révélateur de la réflexion sur
le temps qui anime le livre, autour des glissements des époques, réflexion
portée et suscitée par le vide des photos, puissant appel à se souvenir ou à
inventer.
Tout le livre fonctionne comme une interrogation à multiples étages, sur le
temps, sur la photo, sur le suspens, sur l’imaginaire, sur la réminiscence, sur
la reconstruction d’un passé, sur la fiction, sur la vérité, sur le rêve, sur
la trace ou la non-trace ; car ces lieux où mourut Roussel, où vécurent
ceux dont parle Liliane Giraudon ne portent aucune trace et seule l’écriture
peut leur donner, le temps d’un livre et par l’entremise d’un lecteur actif, un
semblant de vie, d’existence. .
On peut proposer pour ce livre singulier un rapprochement avec l’univers de la cinéaste Chantal Akerman, en son film Hôtel Monterey : même suspens du temps à la fois arrêté et éternel, même imprécision floue des personnages qui ne sont que des figurants pour ne pas dire des revenants, mêmes cadrages tant des textes que des photos et jusque dans le rôle de l’ascenseur pour le côté Giraudon : « c’était un rêve, un simple rêve. Ce couloir n’avait aucune existence réelle, celui qui l’empruntait se trouvait profondément endormi ».
Liliane Giraudon, Jean-Jacques Viton
et Bernard Plossu
Hôtel
Argol Editions, 2009
20 €
Contribution de Florence Trocmé