France ne rime pas avec consensus. Si l'on excepte certains domaines, surtout liés à la politique étrangère, où la majorité de la classe politique s'accorde sur une position -le refus de participer à l'invasion de l'Irak en 2003 par exemple-, les affaires "domestiques" sont presque toujours l'occasion d'une confrontation acharnée entre les "pro" et les "anti" quelque chose, "pôles" qui se trompent souvent tous les deux.
Cette confrontation, n'en déplaise aux unanimistes comme François Bayrou, a pourtant son utilité : en faisant s'opposer deux visions du monde, deux conceptions de la politique sur un sujet donné, l'esprit de contradiction français permet qu'un vrai débat de société ait lieu sur des questions cruciales.
C'est ce qui permet à notre pays, pétris de paradoxes, d'être un modèle de qualité et de richesse du débat politique. Ayant vécu au Canada, au moment où avaient lieu les élections fédérales de janvier 2006, et étant retourné au Québec quelques jours après les élections provinciales -les deux ayant été des succès pour les conservateurs-, je peux témoigner du fait que l'on ne trouve pas toujours une telle réflexion sur la chose publique à l'étranger.
La recherche obsessionnelle du consensus, qui caractérise les démocraties dites "du Nord" (pays scandinaves, Finlande, Canada), et que beaucoup d'adhérents du Modem voudraient importer en France, n'est pas le gage d'une réelle constructivité du débat public. Quand l'on s'efforce de s'entendre sur tout, on finit par en oublier de comparer les différentes alternatives qui se présentent dans des domaines fondamentaux. Le quasi-consensus relatif au multiculturalisme au Canada a par exemple permis que s'y développe un communautarisme préoccupant, dont il est très difficile de débattre sans être accusé de racisme, comme c'est le cas dans le débat hexagonal sur l'immigration.
Heureusement, le danger du consensus "mou" n'est pas à l'ordre du jour en France, bien au contraire. Le bipartisme français oppose en effet des partis aux idéologies radicalement différentes, contrairement à d'autres pays dont le régime politique est aussi bipartisan mais où la politique du gouvernement est menée "au centre". Parfois, cependant, on aimerait que sur des sujets qui paraissent de bon sens et dont l'idéologie devrait être absente, un consensus soit possible.
Le service minimum est l'un d'entre eux. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment il est mentalement possible d'être opposé à ce que les transports en commun, ainsi que d'autres services publics, soient tenus de fonctionner durant les jours de grève, attendu que les grévistes, au contraire des salariés du privé, ne risquent pas de perdre leur emploi.
Je ne comprends pas non plus comment la gauche, qui se présente toujours comme le porte-parole des classes populaires, peut être opposée à une mesure qui permettrait justement aux plus modestes des Français, qui ont davantage besoin des transports en commun pour se rendre sur leur lieu de travail car ne disposant pas forcément d'une voiture, d'être assurés de pouvoir se déplacer librement.
Ou plutôt, si, je comprends bien que la gauche, contrainte par sa posture d'opposition systématique, rejette la loi sur le service minimum pour la simple raison que celle-ci émane du gouvernement. Elle espère aussi, peut-être, que le refus du service minimum par les salariés du public mettra le feu aux poudres du "mouvement social" type 1995 qu'elle semble appeler de ses voeux.
Pour cela, rien de tel que de prendre en otage l'opinion en faisant usage de toute la mauvaise foi qu'il est possible de déployer, en prétendant par exemple que cette loi serait "anticonstitutionnelle" car remettant en cause le droit de grève, garanti par la Constitution.
Ceux qui avancent cette idée oublient que le droit au travail l'est aussi. Est-ce-à dire que ces deux droits constitutionnels s'opposent? Pas vraiment en l'occurence, puisque les syndicats ne représentent que 6 à 8 % des salariés, alors que 70% des Français sont favorables au service minimum, comme le rappelait justement Jacques Espérandieu dans son éditorial paru dans le Journal du dimanche d'hier. Dans ce cas, l'exigence démocratique veut que l'on arbitre en faveur du travail et non de la grève.
Le gouvernement ne semble cependant pas prêt à s'engager courageusement dans ce dossier. Lorsque François Fillon a émis l'idée que le service minimum pourrait être étendu à l'Education nationale, proposition dont j'aimerais qu'on m'explique en quoi elle est scandaleuse, le Premier ministre n'a pas été vraiment soutenu par les siens.
Une telle mollesse a déjà été constatée dans le dossier sur la réforme de l'Université, dont l'idée même de sélection, pourtant indispensable à la (re)construction d'une Université française de qualité, vraiment compétitive au niveau mondial, a été bannie.
Ce ne sont pas des sujets que l'on puisse qualifier de mineurs, puisqu'ils engagent l'avenir de la France. Le président de la République et son gouvernement, tout affairés qu'ils sont à achever le Parti socialiste par leur stratégie d'"ouverture", devraient également se rappeler qu'ils ont été élus sur un programme, et que les points essentiels de ce programme doivent être appliqués, sans quoi l'action politique risque de se trouver discréditée pour longtemps en France.
Roman B.