Ange, démon et dragon de la Fontaine saint-Michel
Reddiffusion (Ancien titre : Goubé Dem au pays des sorciers
M.B. le petit cousin de Goubé Dem, trois ans, venu en vacances en France pour un mois, étouffait tellement dans le petit studio de sa mère, que lorsqu'il pressa son père pour qu'ils rentrent au Sénégal et que ce dernier lui répondit en peul « fad haa lewru maaya » (Attends que la lune meure) c'est à dire la fin du mois, il avait si hâte de retrouver les grands espaces des concessions et des quartiers de Dakar où grouillent gamins, chèvres, moutons, et même des oiseaux marins, qu’il répondit à son père : "Mais fusille la lune pour qu'elle meure et qu'on parte ! "
M.Ba reviendra plus tard, s’installera et aimera ce pays comme beaucoup d'autres et moi aussi. Aujourd’hui, il en ressusciterait bien des lunes rien que pour reporter ses voyages vers le pays de son enfance.
Mais le séjour de huit mois en France de sa cousine Goubé Dem (15 ans) fut un calvaire pour elle et pour son entourage. Car elle ne voulait pas rester en France et tenait absolument à repartir dans le pays où elle a grandi.
La valise devant la porte barricadée de l'appartement parisien de sa mère, elle n'avait qu'une idée en tête : repartir au Sénégal et elle ne voulait pas en démordre. Eh oui !
Goubé était si déterminée, qu'elle aurait inventé UNE PREMIERE pour le monde : une pirogue chargée de clandestins quittant Paris de nuit pour le Sénégal ! (Dommage pour cette pirogue, elle aurait sauvé l'honneur des pays d'où viennent les clandestins.)
Rien n’arrêtait Goubé ...
Ni le rappel des longues et difficiles tractations que sa mère a livrées pour la faire venir, ni la mobilisation de toute sa famille, des amis, des voisins, des inconnus ne changèrent rien !
Ni les grigris et les eaux bénies par des marabouts que sa mère dilua à son insu dans son Coca. Ni les amulettes que Fibiri Baaji, un de ses oncles du pays, enterra dans un cimetière au milieu d'une nuit sans lune.
Bref, toutes ces opérations à l’adresse des forces occultes n'eurent qu’un effet, celui de ruiner la maigre bourse de sa mère.
Même l'indulgence de policiers attendris qu’elle nous fît découvrir, et qui débarquèrent une nuit pour aider à la retenir et lui faire comprendre que mineure, elle ne pouvait quitter la France sans l’accord de sa mère.
Ni les nombreuses cartes téléphoniques dont usa son homonyme et mère adoptive qu'elle disait beaucoup lui manquer,ne réussirent à la convaincre de rester. Même quand cette dernière soutint : «Tu sais, Tokara, wallaye, si tu veux me faire plaisir, tu dois rester. Alors le plus beau cadeau que tu puisses me faire, sera de te visiter. » Ces propos empreints d’une infinie tendresse qu’ils vous auraient sûrement tirés des larmes. Mais le visage de Goubé restait imperturbable.
Rien n'y fit pour cette gamine au regard et à la voix d’ange, mais dont la résistance pouvait rappeler celle d'un démon. Elle poursuivait un but que personne ne voulait ni ne pouvait comprendre sauf elle.
Au copain de son frère qui lui disait gentiment qu'elle avait eu raison de préférer le bled, elle le fusilla du regard avant de lui répondre perplexe: "C'est le Sénégal que tu appelles bled ?" Preuve qu’elle ignorait le langage de certains jeunes issus de l'immigration.
Cruel sort que celui de cette assistante sociale qui avait tant aidé la mère dans ses démarches de regroupement familial, et qui devait agir avec beaucoup de tact pour la convaincre que c'était plus raisonnable de se séparer de sa fille, car elle prévenait les difficultés liées à l'adolescence que la mère dans sa culture traduisait par des caprices.
Deux jours passés avec une Versaillaise, proche de sa mère, qui sait s’y prendre pour éveiller et émerveiller les enfants, détendirent le visage de Goubé pour la première fois depuis longtemps. Ce qui rendit l’espoir à une de ses tantes qui se permit même de déplacer sa valise posée depuis des jours devant la porte d’entrée. Mais le bond que Goubé fit pour reprendre sa valise, nous fit comprendre que son voyage dans le monde des Merveilles avec la Versaillaise n’eut aucun effet sur sa décision de repartir.
Alors excédée, cette tante qui depuis sa déportation de chez elle au chez des autres, en veut à tous les maures de la terre, et n’agrémentant plus son langage que de proverbes faisant allusion à eux, lui fourgua sa valise en même temps que ce dicton peul ancestral: « Yo capatooje ma kaad e haniini !i» (Que tes connaissances en maures se limitent à « haniini » (doucement).
Elles ne s'arrêtèrent point au haniini, puisque on finit par se retrouver au palais de justice de Paris où une juge d’enfant, noyée dans des dossiers, donna quand même beaucoup de son temps pour dissuader Goubé de repartir. Rien n’y fit.
A l’annonce de la sentence : "Vu les éléments, seule la mère pouvait décider du départ de sa fille", Goubé devint folle de rage. A sa façon brutale de quitter la salle, je déduisis qu’elle avait ajouté la juge à la liste de ses ennemis que nous formions sa mère, son oncle et moi. Parmi les personnes présentes au procès, seule l’éducatrice était épargnée, car cette dernière n' avait à aucun moment tenter de la dissuader de partir.
Goubé s’enfuit du Palais de justice. Je la rattrape juste au niveau du pont Saint-Michel. Elle agrippa les rampes du pont. Nous nous mîmes à deux pour réussir à la décoller. Elle s’échappa encore une fois pour se retrouver de l'autre côté de la Seine et alla s’échouer sur la Fontaine Saint-Michel. Elle se plaça sous les ailes de l’Ange et se cramponna de toutes ses forces à un des dragons cracheurs de jets. Nous eûmes tellement de mal à la décrocher de là que je crus un instant que le dragon ailé lui prêtait ses forces.
Tout ce monde qui lui bouchait son chemin n’avait pas réussi à la décourager. Et Goubé ne s’est jamais sentie perdue.
La Versaillaise à qui l’une de ses professeurs avait confié que Goubé bien que très disciplinée, restait toujours prostrée en classe, conclut que la seule solution qui s’imposait, c’était de la laisser partir avant d’ajouter : "Par les temps qui courent, elle mériterait d’avoir sa statue exposée au musée ! »
ELLE avait raison, car Goubé Dem eût gain de cause et repartit dans un vol aussi régulier qu'elle était venue du Sénégal.
A son retour du palais de justice Goubé avait fait ce vœu: « Si seulement Dieu me transformait en oiseau pour que je puisse me poser au Sénégal.» Le départ de Goubé brisa le rêve des uns, déconcerta les autres et désespéra tous.
- La suite, dans quelques jours.
LES COMMENTAIRES (1)
posté le 27 avril à 12:52
Lire la partie 2 sur Bababe Loti Archives,28 fevrier 2008: "Goube dem au pays des sorciers "(2)