La Rochelle, qui fut jadis le théâtre d'une bataille ayant résolu par la violence ce que l'Edit de Nantes n'avait pu résoudre par la tolérance, a accueilli cette année de nouveaux belligérants. Le cadre se prêtait à merveille à une guerre d'un genre particulier. Remplacez les troupes du cardinal de Richelieu par les "rénovateurs" du Parti socialiste et les assiégés huguenots par les tenants de l'unité à tout prix, substituez aux balles des mousquets et aux boulets des canons le fiel et l'ironie des estivants, et vous aurez une idée imagée mais fidèle du film de cape et d'épée auquel j'ai préféré ne pas trop assister. Les médias ont pourtant essayé de déceler dans ce rituel de rentrée désuet un signe de survie du Parti de la Rose.
Il est vrai qu'en comparaison de l'été qui vient de s'écouler sans avoir eu lieu, et durant lequel les dirigeants socialistes ont accordé leur conduite politique avec la médiocrité de la météo, ce retour aux affaires ne peut que frapper par son audace.
Le mot d'ordre des universités d'été du PS était la "rénovation". D'accord ou pas sur les modalités de cette refonte idéologique du grand parti de gauche français, tous les jouteurs ont dû se positionner par rapport à cet enjeu qu'ils jugent -il était temps- crucial. Ségolène Royal, fidèle à son inassouvi désir d'avenir, a donc pris les devants en affirmant qu'"il y a tant de lassitude sur les querelles du passé, et une volonté, profonde et tenace, de tourner une page. La rénovation de notre parti, c'est aussi une rénovation profonde des comportements personnels."
Une déclaration qui ne pouvait que faire réagir son principal destinataire. François Hollande a répliqué, avec le goût de la pirouette verbale qu'on lui connaît : "C'est donc un changement bien plus qu'une rénovation qu'il faut engager. Ah, le mot rénovation ! Il est vieux comme le Parti socialiste. Le mot est usé."
A la lecture de l'article du Monde duquel sont extraites ces deux citations, j'ai commencé à me demander si les dirigeants socialistes allaient réussir à comprendre, un jour, que c'est précisément de ces débats byzantins dont les Français ne veulent plus. Qu'il faille une rénovation ou un changement, ce sera à ceux qui conduiront l'une ou l'autre de le déterminer. Mais qu'ils la (le) fassent.
Comme je l'écrivais dans un précédent billet, la France ne peut plus prendre le risque de sauter à cloche-pied sur sa jambe droite tout en laissant traîner la gauche. Il faut, et il est heureux que tout le monde ou presque s'accorde là-dessus, un PS moderne, ce qui ne peut se faire qu'avec un changement radical et structurel de son idéologie et de sa doctrine. Mais, à y regarder de plus près, la réponse du berger François Hollande à sa probable successeure pour mener le troupeau des militants socialistes n'est pas si vaine qu'il y paraît. La "rénovation" était en effet sur toutes les lèvres après la déroute électorale, bien plus dure, de 1993.
Dans l'intervalle, les socialistes ont perdu, série en cours, trois élections présidentielles, et deux élections législatives. Les victoires de 1997 -avec l'aide du président Chirac et de son absurde dissolution- et de 2004 -dans des scrutins mineurs- ont été trompeuses, en ce qu'elles ont ajourné une vraie rénovation, qui nécessitait moins des déclarations d'intention qu'une redéfinition complète de ce qu'est le socialisme français contemporain, de ce qu'il faut garder -ou laisser- de son héritage, des alliances qu'il convient de réaliser dans un contexte bipolaire, et des idées novatrices qu'il faut proposer aux suffrages des Français.
Mais surtout, il faut prendre le mal à la racine, et donc s'interroger sur les causes profondes du déclassement du Parti socialiste par rapport au grand parti de la droite. En feignant de se projeter dans l'avenir -alors qu'ils n'ont aucune responsabilité au niveau national, comme en 2002- les socialistes risquent la fuite en avant, avec le danger de ne pas tirer les leçons de leurs échecs. Ces raisons, pourtant, sont connues, sauf visiblement des intéressés. La défaite de 2007 étant globale (politique mais aussi sociale et culturelle), il y a de multiples façons d'expliquer le fait que le PS a été incapable de résister à la machine de guerre UMP.
Celle qui me semble la plus pertinente, bien que rarement mise en avant par les commentateurs politiques, est le rapport pervers qu'entretient le Parti socialiste avec l'idée de nation. Idéologiquement, le parti héritier de la Section française de l'Internationale ouvrière (SFIO) est défiant, sinon hostile, à la nation. Les dirigeants socialistes français ont une vision étroite car réductrice du concept d'internationalisme. Au lieu de l'interpréter selon son étymologie (unir les nations du monde), ils le voient à l'aune de leurs propres préjugés : pour eux, être internationaliste, c'est vouloir abolir les nations afin de faire émerger une nation humaine. Gare au "retour du refoulé" des peuples qui subiraient une politique basée sur de tels principes : la nation est une réalité, dont il faut tirer parti dans une optique humaniste au lieu de chercher à l'étouffer... et risquer de la faire resurgir d'une façon odieuse car longtemps réfrénée. La création stupide d'un ministère de l'Immigration et de l'Identité nationale l'illustre bien : après avoir longtemps refusé d'imposer aux nouveaux venus d'adhérer aux valeurs de la République, on cherche à présent, dans l'urgence, à leur inoculer celles de la France : avec le risque de repli identitaire que l'on est en droit de redouter.
Mais puisque les socialistes français tirent leur légitimité politique des suffrages d'un peuple qui se définit à une immense majorité comme étant avant tout et surtout français, il leur faut bien, pour de basses raisons électorales, faire leur le sentiment national, quitte à tenter de l'orienter dans une voie qui sied mieux à leurs convictions profondes. De surcroît, les socialistes français agissent au niveau d'un territoire que la politique ambitieuse de l'Etat français depuis le Moyen Âge a achevé de rendre relativement cohérent et homogène. S'ils sont rarement fiers de l'histoire de la France, les socialistes français sont presque toujours fiers de sa géographie. Même le plus "antinationiste" des socialistes serait d'ailleurs incapable de concevoir l'action politique hors du cadre hexagonal, ce qui explique pourquoi une partie non négligeable des soutiens de Ségolène Royal a agité la menace ridicule d'un risque de dictature si Nicolas Sarkozy venait à être élu, alors que les dangers qui pèsent sur la démocratie viennent d'ailleurs : le risque d'un nouvel isolationnisme américain, qui laisserait la vieille et faible Europe seule face aux autres périls de la montée de l'islamisme radical dans le monde arabo-musulman, de la puissance croissante de la Chine, et du panslavisme d'une Russie qui voudra, après l'effondrement de son empire, le recouvrer par tous les moyens.
Dans une Europe qui pourrait, au cours des décennies à venir, ressembler de plus en plus à celle des années 1920-1930, l'incapacité des socialistes français à penser le politique au-delà de la France, tout en étant opposés par principe au fait national, les rend complètement schizophrènes. Ils limitent leur champ d'action à l'Hexagone, sans consentir à l'investir pleinement. Peut-être, tout simplement, que les socialistes français n'arrivent pas à penser le monde contemporain -que l'on se souvienne, à cet égard, de la pauvreté du débat pour l'investiture à la présidentielle sur les questions internationales l'an dernier- parce qu'ils n'osent pas, ou ne veulent pas, prendre appui sur la France. Ce qui explique que, bien qu'étant par nature plus encline à défendre l'identité nationale française, la droite soit, dans les actes sinon dans le discours, plus internationaliste que la gauche. Ce qui n'est pas sans conséquences sur sa plus grande crédibilité pour gouverner le pays, dans un contexte qui, on le sait, est celui de la mondialisation.
Surtout, et c'est le plus important car cela touche les catégories les moins favorisées de la population française, le Parti socialiste, après s'y être essayé sous Mitterrand, a refusé depuis de parler de la France aux classes populaires françaises, se faisant une image fantasmée de l'"ouvrier" : un citoyen de gauche internationaliste, alors que, pour l'essentiel, le peuple français est patriote, pour ne pas dire chauvin. Cette réalité, refusée par nombre de dirigeants socialistes, explique en partie le vote Le Pen dans les classes populaires, qui s'est reporté sur Nicolas Sarkozy lors de l'élection présidentielle. Si la gauche s'offusquait de ce que le candidat de l'UMP avait "siphonné" le vote Front national, c'était surtout parce qu'elle ne pouvait accepter que le vote ouvrier se détournât d'elle. Certes, Ségolène Royal, en remettant la nation à l'ordre du jour, a partiellement réconcilié la gauche française avec son peuple, qui attendait qu'on lui parle enfin de la France, après un quart de siècle de monopole du patriotisme par Jean-Marie Le Pen et le FN. Mais cette audace, qui a suscité la colère de l'extrême-gauche, toujours prompte à faire chanter le PS, n'est pas allée plus loin que la promotion du drapeau tricolore et de la Marseillaise, symboles factices parce qu'insuffisamment concrets.
Outre les conséquences électorales fâcheuses pour le PS -parti comme il est, je le vois mal gagner les élections de 2012-, ce refus du concept de nation, tout en en étant prisonnier, a un impact plus grave sur l'intégration des immigrés. La gauche a, c'est un fait qu'elle assume au nom de ses idéaux, refusé leur assimilation, préférant parler d'intégration. Or, ce que les émeutes de 2005 ont fait apparaître de plus clair, c'est moins le rejet de la France par les populations issues de l'immigration (même si c'est un élément à ne pas négliger) que leur volonté -violente car désespérée- d'être enfin considérées comme françaises. Comment intégrer des gens à qui vous ne voulez pas donner la qualité de français, par peur de les défausser de leur identité d'origine ? Voilà matière à réflexion.
A lire, sur le même sujet, les articles des Kiwis Seb de Ca réagit, le Chafouin de Pensées d'outre-politique et Toreador.
Roman B.