un rêve sans fin

(Sydney, le 29 juil. 07)

Il y a des amours qui ne meurent pas. Des histoires interrompues par les barrages de la vie gardent toute leur chaleur longtemps après la dernière flamme. Le souvenir de ces romances anciennes nous prend encore par le bras. Il nous accompagne dans le lacis des ans, tend nos voiles au gré des caps à franchir. Le voyage en Australie était aussi une façon de poursuivre l’écriture d’un amour inachevé, une page que le temps n’a pas réussi à jaunir. Son île, son continent, c’était pour oser la chimère de mes pas sur les siens, vivre à côté de sa vie à elle, seize ans après. Ann, étudiante à Brisbane, et ses yeux mer-de-corail dans un café à Dijon, à travers la lumière blafarde de mon année militaire, un matin d’octobre 1991. J’ai tout gardé, je sais tout revivre encore. Son sourire tissé par d’incessants regards croisés, la journée patiemment piétinée sous les façades à colombages, tout prétexte à se dire, à se comprendre et à s’apprendre. J’ai encore sa main qui me retient quand je vais traverser la rue sans regarder. Je l’ai encore parce que la seconde d’après, nos mains glissent et se prennent devant le feu vert.
Ses collants de laine bariolés sous une jupe bleue.
Dans sa petite chambre d’hôtel, le long baiser précautionneux, encombré par les valises de son tour du monde.
Il me fallait revenir à Ann. La redécouvrir à travers son pays, l’aimer dans le sourire des visages croisés là-bas, chuchoter au vent qu’il ne s’était pas passé beaucoup de jours sans que je pense à elle. Qu’il m’arrive même encore de rêver de nos retrouvailles. Sur les marches de l’opéra de Sydney, je lui confie enfin ce qu’elle n’a jamais pu savoir : l’exercice d’alerte dans la caserne qui nous a privés de ce deuxième soir, l’hôtelier qui m’a refusé son adresse le lendemain, l’errance des semaines et des années qui ont suivi. A chaque fois le rêve s’arrête au milieu, m’obligeant à rembobiner le film. Il y a des amours qui ne meurent pas...