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Pourquoi je ne voterai pas aux européennes, ou merci Wendy Brown

Publié le 26 avril 2009 par Edgar @edgarpoe

Il y a un moment que j'ai décidé de m'abstenir en juin prochain.

Je ne me suis convaincu qu'au terme d'une réflexion difficile, mais j'ai abouti à la conclusion finalement évidente que voter pour des élections perverses n'est pas un acte citoyen.

Pourquoi perverses ?

Je crois que, malgré tous les défauts qu'on peut lui trouver, le cadre politique français reste celui d'une démocratie libérale. In fine, c'est la voix de la majorité qui prévaut, avec un respect des minorités qui existe, porté par un respect des formes légales.

Le cadre politique européen est très différent, il est entièrement néolibéral - néolibéralisme décrit de façon très fine dans l'excellent bouquin de Wendy Brown, Les habits neufs de la politique mondiale (cf. les deux définitions du libéralisme et du néolibéralisme que j'en ai extrait).

Reprenons par exemple la décision, qui peut avoir l'air anecdotique, d'autoriser la fabrication de vin rosé par mélange de rouge et de blanc.

Dans le cadre d'une démocratie libérale parlementaire, ce texte ne passait pas. Rejetée par plus de 80% de la population (cf. le site Couper n'est pas rosé, et sa pétition), une mesure aussi absurde n'avait aucune chance par exemple à l'Assemblée nationale. Dans le cadre européen, elle finira par s'imposer. Parce que le cadre européen n'accorde aucun poids à la notion de citoyen et de volonté majoritaire. Le cadre européen ne reconnaît que des acteurs présents sur un marché. Les représentants de l'offre de vin et de la demande de vin ont été consultés, il y a eu débat, arbitré par la Commission, les arguments des offreurs majoritaires ont été entendus, la messe est dite.

Chaque décision européenne est prise à cette aune, à la manière néolibérale : il ne s'agit plus de supposer ce que le corps électoral, dans sa majorité, prendrait comme décision si d'aventure il était consulté, il s'agit de savoir ce que souhaitent les "parties intéressées", au sens le plus restreint du terme, chaque partie ayant autant de poids que l'autre, même s'il y a d'un côté quelques producteurs et de l'autre des millions de consommateurs.

Regardez le site de l'Union européenne consacré à la "consultation" préalable aux prises de décisions (ne vous fiez pas à la façade en français, tout les détails utiles sont en anglais) : chaque proposition de décision est ouverte au débat et des appels à contribution sont lancés.

Dans le cadre de ces débats, les personnes privées, les entreprises ou les états ont la même voix. In fine, ce sont les fonctionnaires de la Commission qui décideront, ou non, que l'avis du Ministère de la Santé français vaut, ou pas, celui d'Astra Zeneca ou d'un quelconque autre vendeur de médicaments. Et devinez qui paye le mieux à bouffer ?...

 

La philosophie de la prise de décision n'est plus la même et je suis convaincu que le respect de la démocratie reste même supérieur aux Etats-unis que ce qu'il est dans les institutions européennes. En d'autres termes, les institutions européennes sont ce qui se fait, au monde, de plus avancé en matière d'institutions néolibérales.

 

Certes, l'Union européenne paie un tribut gesticulatoire à la démocratie. Mais, comme l'écrit Wendy Brown, encore : "Le fait que "démocratie" soit le terme dont on affuble tant de mesures de politique intérieure ou d'entreprises impérialistes anti-démocratiques suggère que nous sommes dans un interrègne - ou plus précisément, que le néolibéralisme emprunte considérablement à l'ancien régime à des fins de légitimation, même s'il développe et promeut en même temps de nouveaux codes de légitimité."

 

Les nouveaux codes de légitimité promus par la barbarie des institutions européennes c'est, par exemple, la e-démocratie, promue par les pseudo-pirates du web, des consultations toutes plus bidons les unes que les autres, qui s'enchaînent sans effet ; pendant que les référendums nationaux sont déclarés sans objet les uns après les autres.

Voilà pourquoi l'abstention que je recommande pour les européennes est à mille lieues du slogan "élections piège à cons".

 

J'ai au contraire beaucoup trop de respect pour la démocratie, et je ne souhaite pas que les institutions européennes - dont la politique sera totalement inchangée par les élections au Parlement européen - puissent se targuer d'un fort taux de participation pour s'afficher ensuite comme "démocratiques".

 

La démocratie ce n'est pas simplement la possibilité de mettre un bulletin dans l'urne.

La démocratie suppose d'une part un cadre clairement défini, ensuite des règles acceptées par tous et enfin un souci général de l'intérêt commun. Aucune de ces conditions n'est réunie dans un cadre européen, qui ne peut donc pas être démocratique. Les élections du 7 juin relèveront donc du genre parodique, un dernier hommage que le vice rendra à la vertu, et je ne souhaite pas me compromettre dans ce piège.

 

Voilà pourquoi le 7 juin, je resterai chez moi : par respect de la démocratie.


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