A J-4 des annonces du président-architecte Nicolas Sarkozy sur le Grand-Paris les médias s’agitent un peu sur la question. Amusant. C’est en effet le 29 avril prochain, à l’occasion de l’exposition consacrée aux travaux des dix cabinets d’architectes mandatés pour imaginer « le grand pari de l’agglomération parisienne », que le Président de la République doit parler. Et dans de désordre savamment organisé par les uns et les autres autour de la question du Grand-Paris, qui concerne pourtant directement 11 millions de personnes dans leur vie quotidienne et un pays entier, vu le rôle moteur de la métropole et de la région, on attend les paroles de Nicolas Sarkozy comme celles de la Pythie de Delphes. Avant que l’oracle ne s’exprime, peut-être en signe de conciliation, le président de la république a reçu deux des protagonistes du débat. Jean-Paul Huchon, le président de la région Ile-de-France, et Bertrand Delanoë, le maire de Paris, tous les deux socialistes. La démarche ne saurait être innocente, souvenons-nous de la façon partisane et stérile dont le PS a rejeté en bloc les propositions du rapport Balladur sur la réforme des collectivités territoriales. Jean-Paul Huchon a qualifié l’entretien « important et utile » . ”Il a reconnu l’intérêt de notre plan de mobilisation (pour les transports) qu’il considère comme nécessaire et a par ailleurs évoqué les propositions du secrétaire d’Etat (Christian Blanc), avec l’affirmation assez claire qu’il n’y avait pas de contradictions entre ces documents“, rapporte le Figaro, de son côté le maire de Paris a publié un communiqué sibyllin soulignant tout de même l’étrange calendrier de la rencontre « Cet échange, consacré à l’avenir de la métropole parisienne, s’est tenu moins d’une semaine avant l’intervention sur le sujet du Président de la République qui, le 29 avril, inaugurera l’exposition « Le grand Pari(s) de l’agglomération parisienne. Bien entendu, je ne réagirai aux intentions et annonces de Nicolas Sarkozy, qu’une fois celles-ci exprimées publiquement à cette occasion ».
La question du Grand-Paris est confisquée depuis le début par deux types d’acteurs. D’un côté les politiques, élus de tous niveaux de la proximité au national, maires et élus municipaux, conseillers généraux, régionaux, président de région, mais aussi les représentants de l’Etat, secrétaires d’Etat, ministres, président de la république, préfets, et plus récemment commission ad hoc avec le comité Balladur. Une deuxième catégorie est celle des experts, experts acteurs ou experts conseils, parmi les premiers, il faut compter les opérateurs des transports, RATP et SNCF, et les différents syndicats comme le STIF, mais aussi le SYCTOM ou le SEDIF, Chambres de commerce, Conseil économique et social régional, etc. Dans la catégorie des experts, il y a aussi les non-politiques, les économistes, les géographes, les aménageurs, les ingénieurs, les corps comme les Ponts, les acteurs des politiques de la Ville, l’ANRU, etc. Et plus récemment les urbanistes et les architectes, pendant longtemps assez silencieux sur le sujet, à l’exception de Rolland Castro à qui il faut reconnaître un rôle de précurseur.
Chacun de ses groupes a ses logiques, ses objectifs et ses priorités. Il y a une interaction assez intéressante entre les deux groupes, les politiques se servant des experts pour justifier leurs visées, les experts contents de pouvoir servir les politiques pour développer et exercer leurs expertises.
A ces deux types d’acteurs, il faut en ajouter un troisième. Celui des médias, journalistes qui ont du mal à comprendre le dossier et se contentent souvent de commenter de façon immédiate, superficielle et sans distances, privilégiant l’effet d’annonce « 140 km de métro automatique », la petite phrase politique des uns et des autres, voir par exemple l’interminable et nullissime feuilleton du SDRIF, ou encore s’attachent au côté spectaculaire des choses, « l’invention du Grand-Paris » vu par le Monde 2 avec de belles images, comme aimerait en voir plus souvent ;-) Pas tous les journalistes bien sûr, mais la grande majorité. Ceux qui essaient d’expliquer comme Sibylle Vincendon de Libération ou Gurvan Le Guellec du Nouvel Observateur, souvent cités par Paris est sa banlieue, peuvent se heurter à l’incompréhension des patrons de rédaction, à leur ignorance parfois, quand ce n’est pas à leur désintérêt allant jusqu’à faire disparaître ParisObs, le seul hebdo qui parlait un peu de la question du Grand-Paris. Reste les blogues, mais je dois avouer qu’avec Paris est sa banlieue, après plus de 4 ans d’effort je me sens parfois un peu découragé… Pourtant dans ce débat, il y a un manque criant, énorme, puisqu’il représente pas moins de 6 à 11 millions de personnes, les grands-parisiens, que personne n’a jamais cru bon d’informer, ni d’interroger. Que diraient-ils ces parisiens, et que répondraient-ils si on leur demandaient ce qu’ils pensent de la situation aujourd’hui ? S’ils ont l’impression qu’on les informe sur les débats les concernant, du SDRIF au Grand-Paris ? S’ils se sentent concernés par les grands gestes architecturaux ou par le prolongement des lignes de métro ou les créations de rocades de métro en banlieue ? Et lorsqu’on les aura mieux informés, pourquoi pas reposer la question sur le Grand-Paris et sa gouvernance ? « Rien ne doit se faire sans les élus », entend-on répéter à loisir par les uns et les autres, la formule est devenue une tarte à la crème, un sésame de pacification du débat, mais d’un débat réservé à un club, fermé, très fermé. Celui des élus et des experts, qui en ont exclu les intéressés. Bien sûr, il y a des réunions participatives, qui sur des pistes cyclables ou l’extension de vélib’ ici ou là, qui sur une canopée, ou sur la hauteur des tours. Mais quel lecteur se souvient d’avoir lu lors des dernières municipales et cantonales une proposition ou un engagement sur le Grand-Paris ? Quelle vision détaillée et argumentée a été présentée dans un programme électoral ? Il y a deux semaines 20minutes a publié un « sondage » dans lequel le quotidien demandait à ses lecteurs leur « avis sur le Grand-Paris ». Une bonne initiative qu’il convient de saluer en ce qu’elle est exemplaire. Mais on ne peut pas accorder de valeur aux réponses qui ne sont basées que sur des réponses des lecteurs, et non pas sur un panel représentatif. Et dans notre monde où le sondage fait la loi, il paraît bien étonnant que personne n’en ait commandité un, partisan ou non du Grand-Paris, de Paris-Métropole, de la région. Et s’il fallait souligner le désintérêt des médias de la question, il faut noter qu’aucun n’a eu l’idée de financer directement un sondage et de le publier sans attendre que la commande vienne d’un politique. Bref plutôt que de poser des questions sur la hauteur des tours, ou de « ces bâtiments dont vous ne voulez plus » (voir le Figaroscope de la semaine du 22 avril), il serait intéressant de demander aux grands-parisiens ce qu’ils penseraient d’élire au suffrage universel direct un maire du Grand-Paris, qu’ils habitent le 5ème arrondissement ou La Courneuve, ou de désigner au suffrage direct pour des institutions et des programmes pour leurs transports ou leur logement ? Ou alors quelle est leur opinion sur la différence de desserte de transports entre Paris intra-muros et la banlieue, ou sur la tarification par zones, sur les différences entre les niveaux de taxes locales, etc. A part que ce genre de sondages aient été réalisés, mais pas publiés ?Jean-Paul Chapon