Les royaumes « barbares » se substituèrent définitivement à l'empire romain d'Occident dans la seconde moitié du Ve siècle. Les Vandales tenaient l'Afrique. Les Wisigoths et Burgondes dilatèrent leurs territoires et se partagèrent la Gaule méridionale ; ces conquêtes, et leur indépendance, leur furent reconnues en 475 par l'empereur Jules Nepos, un an avant la déposition de son successeur Romulus « Augustule » et l'élection d'Odoacre comme roi « barbare » d'Italie. La Gaule septentrionale tomba aux mains des Francs à partir de 486. Enfin, en 489-93, les Ostrogoths mandatés par l'empire d'Orient mirent fin à l'éphémère royauté d'Odoacre pour créer leur propre Etat en Italie.
Les royaumes « barbares » occidentaux avaient une structure mixte qui laissait plus ou moins subsister l'organisation romaine dans le domaine civil, en lui superposant un groupe dominant armé soumis à ses propres lois. Il importe de voir quelle était, dans le domaine militaire, la part de l'héritage « barbare » et celle des influences romaines.
On distinguera ici, d'abord les Germains orientaux (Wisigoths, Vandales, Burgondes, Ostrogoths), dont les armées aux Ve-VIe siècles présentaient beaucoup de traits communs, ensuite les Francs mérovingiens et les autres Germains occidentaux, avant d'examiner les apports militaires des nouveaux acteurs « barbares » de la fin du VIe siècle : Lombards, et Avars avec leurs auxiliaires slaves.
Spécificités militaires des Germains orientaux en Occident
Vers l'an 500, les grands peuples germaniques orientaux faisaient figure de principaux héritiers de l'empire d'Occident. Bien que leurs relations aient souvent été conflictuelles (le roi ostrogoth Théodoric tenta, sans grand succès, de les associer dans un système d'alliance global), leurs similitudes étaient fortes. Leurs langues étaient proches : on pourrait presque les décrire comme des dialectes de la même langue « gothique » ou germanique orientale. Tous étaient chrétiens, mais d'obédience arienne : leur évangélisation s'était faite progressivement, à la fin du IVe et au Ve siècle, à partir du petit noyau de Goths chrétiens formé autour de l'évêque Ulfilas (311-382). Les dates des conversions ne sont pas connues précisément, mais le fait est qu'en Occident, les Wisigoths, Vandales, Burgondes et Ostrogoths confessaient le christianisme arien. Or l'arianisme, qui, bien que condamné en 325 au concile de Nicée avait eu la faveur des empereurs du IVe siècle, était au Ve siècle, après un second désaveu au concile de Constantinople (381), considéré comme une hérésie par la majorité catholique des chrétiens d'Occident. Sa pratique contribua à souder les minorités germaniques dirigeantes, mais aussi à les couper de la population « romaine ».
En matière militaire, on constate également de fortes ressemblances, par exemple la prédominance de la cavalerie, ou l'organisation décimale des troupes. Mais notre documentation est inégale suivant les cas. Pour les Vandales et surtout les Ostrogoths, on dispose du témoignage de Procope, contemporain de la « reconquête » de Justinien (Guerre vandale; Guerre gothique), qui contient des notations précises et vivantes sur les techniques guerrières. Pour les Wisigoths, les sources sont moins riches et souvent tardives : elles concernent davantage la période « espagnole » du royaume, après 507. Sur les Burgondes enfin, nous ne savons rien de très précis.
Le royaume des Wisigoths était né, comme on l'a vu, de l'implantation en Aquitaine des turbulents « fédérés » d'Athaulf (418). Le règne d'Euric (466-84) en fit un Etat pleinement indépendant, comprenant en Gaule méridionale un territoire limité par la Loire, le Rhône et la Durance, et des parties de l'Espagne. Bien qu'une proportion non négligeable des élites gallo-romaines se soient initialement ralliées aux nouveaux maîtres, le prosélytisme arien de ceux-ci leur aliéna la population et empêcha toute fusion ethnique.
L'armée était commandée par le roi : Alaric II (484-507) tomba d'ailleurs face aux Francs sur le champ de bataille de Vouillé. Plus tard, en Espagne, le commandement fut confié à un généralissime, le dux exercitus Hispaniae. Suivant la tradition germanique, le roi était en permanence entouré de sa suite. Sidoine Apollinaire, qui connut Théodoric II (453-66), évoque « la troupe des gardes du corps vêtus de peaux » et signale que « des officiers en armes entourent le trône » (Lettres, I, 2). De même, les nobles servaient avec leurs propres gardes, appelés à la romaine « buccellaires ».
Les troupes étaient organisées suivant le principe décimal, avec des unités de 10, 100 et 1.000 hommes, quoique dans ce dernier cas (la thiufa) il puisse y avoir une confusion avec une circonscription territoriale et administrative et que l'effectif militaire réel ait pu être variable ; dans la législation du V' siècle en tout cas, le millenarius a des fonctions judiciaires et de police plutôt que militaires.
Les chefs d'armées ou les responsables territoriaux portaient en latin les titres de dux et de comes. Le « porte-glaive » du roi paraît avoir été un comes de niveau supérieur.
L'armement énuméré dans les textes de loi et par Isidore de Séville comprend des épées (spathae) et coutelas (scramae, scramasax), javelines, arcs et flèches, frondes, et hache de jet d'influence franque (francisca).
Les Wisigoths formaient évidemment la majorité des troupes, mais deux précisions s'imposent.
D'une part, ils n'étaient pas une population homogène et fermée. Outre différents petits groupes « barbares » incorporés durant leurs migrations et en Aquitaine même, ils avaient accueilli (avant 419 d'après Jordanès) un groupe d'Ostrogoths échappé au joug hunnique. Ce groupe était peut-être lui-même mélangé : c'est de lui qu'était issu Eutharic, que le roi ostrogoth d'Italie Théodoric maria à sa fille Amalasonthe pour réunifier les deux branches de la dynastie amale, et que les Gesta Theodorici regis prétendent « de souche alaine » (ex Alanorum stirpe) ! On retrouve là cette relative fluidité des peuples « barbares » déjà observée durant les migrations.
D'autre part, dès le règne d'Euric, l'obligation militaire fut étendue à la population « romaine », disposition ultérieurement confirmée par le roi Wamba en Espagne (673). Les Gallo-Romains servaient sous leurs propres officiers, et on peut penser qu'ils formaient des unités auxiliaires; mais dans un domaine au moins, leur rôle était essentiel : celui de la flotte, confiée par Euric à des sénateurs aquitains.
En 507, l'armée wisigothe subit à Vouillé une défaite catastrophique de la main des Francs de Clovis. Grégoire de Tours (Histoire des Francs, II, 37), qui ne décrit pas précisément le combat, dit que « selon leur coutume les Goths avaient tourné le dos », ce qui pourrait être une allusion à l'emploi - inefficace, en l'occurrence - de la tactique de fuite simulée empruntée aux nomades.
L'Aquitaine fut perdue, les Wisigoths ne conservèrent en Gaule, grâce à l'aide des Ostrogoths de Théodoric, que la Septimanie. Le gros de leur population se retira en Espagne, où il subsista comme aristocratie guerrière, malgré une éphémère et partielle « reconquête » byzantine (552-624), jusqu'à l'invasion arabe de 711. L'Espagne chrétienne médiévale de la Reconquista fut, dans une certaine mesure, l'héritière de ce dernier royaume wisigoth, converti au catholicisme au début du VIIe siècle.
Les Vandales établis en Afrique à partir de 429 en compagnie d'Alains et de petits groupes d'autres « Barbares » (dont des Goths) y demeurèrent, plus encore que les Wisigoths en Aquitaine, une force d'occupation coupée de la population « romaine » par leur politique de confiscation des terres et leur arianisme militant et intolérant.
L'armée se composait des Vandales et Alains, plus tard aussi de contingents maures. L'organisation était décimale, mais là encore, le millenarius semble avoir été plutôt le chef d'une circonscription groupant un millier d'hommes que le commandant d'un millier de guerriers. C'était de toute façon un personnage considérable : Victor de Vita évoque un millenarius qui avait à son service un armifactor, un fabricant d'armes privé.
En dehors de la flotte, qui permit au milieu du Ve siècle des opérations audacieuses en Europe (440 : débarquement en Sicile ; 455 : débarquement en Italie et prise de Rome), toutes les troupes étaient montées. Même les forces embarquées emportaient leurs chevaux, comme le montre Sidoine Apollinaire dans le Panégyrique de Majorien (Carmen V) : « Alors le pirate [vandale], tiré de la torpeur, avec toutes ses troupes s'élance au combat; les uns du fond du navire débarquent leurs chevaux dociles; les autres revêtent l'uniforme cotte de maille, d'autres apprêtent leurs arcs arrondis et leurs flèches qui porteront au loin le poison répandu sur leur pointe ».
Au VIe siècle, Procope décrit une armée vandale composée uniquement de cavaliers : « ...ils n'étaient bons ni à la javeline ni à l'arc, et ne savaient pas non plus aller au combat à pied, mais ils étaient tous cavaliers et utilisaient essentiellement des lances et des épées, si bien qu'ils étaient incapables de faire le moindre mal à l'ennemi à distance » (Guerre vandale, III, 8, 27).
On remarque la contradiction entre Procope et Sidoine à propos de l'emploi de l'arc. Ou bien l'un des deux se trompe, ou bien chacun a raison pour son temps et une évolution s'est produite entre le milieu du Ve siècle et les années 530. En tout cas, l'absence ou le rôle réduit de l'arc chez les Vandales de cette dernière époque, l'usage préférentiel de la lance et de l'épée, correspondent bien aux tactiques de cavalerie tant germaniques que sarmato-alaines. Si « l'uniforme cotte de mailles » dont parle Sidoine n'est pas qu'un simple cliché littéraire, les cavaliers vandales d'Afrique se rapprocheraient peut-être davantage du type cuirassé sarmato-alain ; ceci s'expliquerait aisément par la présence et l'influence du contingent alain de l'armée. Le possible usage de signes héraldiques de style nomade serait un autre signe de cette « alanisation » des traditions guerrières vandales.
Le royaume vandale s'écroula très rapidement, en 533-34, sous les coups de l'armée byzantine. Le prétexte de l'intervention fut la déposition du roi Hildéric par Gélimer. En 533, une force de 15.000 hommes débarqua en Afrique, profitant de l'absence de la flotte vandale envoyée contre des rebelles en Sardaigne. A deux reprises, aux batailles d'Ad Decimum et Tricamarum près de Carthage, la cavalerie vandale fut mise en déroute, ses chefs tués, et Gélimer se rendit à Bélisaire en mars 534. Les Vandales survivants furent déportés et disparurent en tant que peuple.
Cet effondrement rapide a été expliqué diversement. Peut-être les Vandales s'étaient-ils, comme Procope le fait dire à son héros Bélisaire, amollis dans une vie trop facile. Pourtant, ils se battirent bien, et l'explication de leur défaite réside sans doute plutôt dans l'ineptie de Gélimer (à qui sa passivité fit manquer l'occasion d'une victoire à Ad Decimum), et dans leur faiblesse numérique : ils tentèrent d'ailleurs de débaucher les Huns de Bélisaire, peut-être dans l'idée de se doter d'une force d'archers à cheval.
Les Burgondes, fort malmenés à la fin des années 430 par les Romains et les Huns, avaient été transférés en 443 par Aetius en Sapaudia. Leurs rois Gondioc (v. 457-70) et Chilpéric (v. 470-80) étendirent notablement ce territoire rhodanoalpin, et le nouveau royaume burgonde atteignit son apogée sous Gondebaud (v. 480-516), après une guerre civile assortie d'une première invasion franque en 500-501.
Ariens modérés (certains membres de la dynastie étaient d'ailleurs catholiques), les Burgondes furent pour la population gallo-romaine, selon l'expression de Sidoine Apollinaire, « les plus cléments des Barbares ». Ils affichèrent un loyalisme presque permanent envers les derniers empereurs d'Occident, puis, après 476, envers les empereurs d'Orient considérés comme leurs successeurs. Gondioc (à partir de 463 environ), puis Chilpéric, Gondebaud, et Sigismond (51624) portèrent avec fierté le titre de « maître des soldats des Gaules », c'est-à-dire, en théorie, de généralissime des forces « romaines » et représentant de l'empereur en Gaule.
Ceci rend d'autant plus ironique notre ignorance à peu près totale sur l'armée burgonde. Bien qu'elle ait participé à des opérations importantes (bataille des Champs Catalauniques en 451; guerres contre les Alamans à la fin du Ve siècle ; incursion en Italie en 491 ; guerres contre les Francs en 500-501, puis contre les Wisigoths en 507-10 ; invasions franques de 523-24 puis 534), aucun écrivain de l'époque ne rapporte le moindre détail utile sur son organisation (décimale ?), son armement ou ses tactiques. On sait seulement par le code romain de Gondebaud que des Gallo-Romains y servaient. La romanophilie des rois burgondes avait-elle une traduction même symbolique ? A en juger par les récriminations de Sidoine Apollinaire (Carmen XII), la romanisation n'était pas allée très loin au moment de l'occupation de Lyon par Gondioc : « Pourquoi me demandes-tu de composer (...) un poème en l'honneur de Vénus amie des chants fescennins, quand je vis au milieu des hordes chevelues, quand j'ai à supporter leur langage germanique et à louer incontinent, malgré mon humeur noire, les chansons du Burgonde gavé, qui s'enduit les cheveux de beurre rance ? ».
Comme les Goths ou les Vandales, les Burgondes avaient incorporé à leur armée un certain nombre d'éléments étrangers. Une annexe à la loi burgonde, datée de 524, suggère même que c'était là une politique délibérée. La présence dans les nécropoles d'époque burgonde de crânes déformés par bandage dans l'enfance, mode d'origine sarmato-alaine empruntée par les Huns et divers peuples germaniques (Goths, Gépides...), ou d'objets caractéristiques comme le miroir métallique nomade de Saint-Sulpice près de Lausanne, révèle probablement la présence de tels auxiliaires. Avant même l'installation des Burgondes, il existait de nombreux établissements « barbares » sur leur futur territoire, comme les gentiles sarmates signalés par la Notice des Dignités (sur la Cure, à Langres, à Roanne) et ceux dont la toponymie rappelle peut-être la présence en Saône-et-Loire. Un groupe d'Alains avait été cantonné par Aetius en 440 près de Valence, cité ultérieurement incorporée au royaume burgonde. On peut imaginer que ces contingents, même réduits, aient influé sur l'aspect ou les tactiques de l'armée burgonde, ou lui aient fourni le noyau de sa cavalerie.
Du point de vue archéologique, les tombes attribuées le plus sûrement aux Burgondes eux-mêmes ne contiennent pas d'armes, et il est difficile de dire dans quelle mesure l'armement se distinguait de celui des Wisigoths, ou des Francs. Le célèbre casque provenant du site de la bataille de Vézeronce (524) peut avoir été porté aussi bien par un Burgonde que par un Franc.
Alliés aux Francs contre les Wisigoths en 507, les Burgondes devinrent à leur tour moins de vingt ans plus tard la cible des convoitises de leurs voisins. Une première tentative de conquête menée par les successeurs de Clovis en 523-24 se termina en catastrophe avec la mort à Vézeronce du roi d'Orléans Clodomir. Détail intéressant, Clodomir avait été attiré dans un piège par des Burgondes contrefaisant son signe de ralliement, ce qui peut laisser supposer que leur aspect n'était pas très différent de celui de ses hommes.
En 534, les Francs revinrent à la charge et, cette fois, l'emportèrent. Les Burgondes demeurèrent sur place et furent assimilés, mais on sait à quelle fortune politique était appelé le fantôme de leur royaume à travers ses divers avatars « bourguignons ».
Le royaume ostrogoth d'Italie est considéré comme le plus parfait exemple de symbiose romano -« barbare » en Occident. Après avoir péniblement vaincu Odoacre et l'avoir, semble-t-il, froidement assassiné (493), le souverain ostrogoth Théodoric chaussa pour ses sujets italiens les bottes des empereurs d'Occident tout en demeurant pour les siens un roi germanique. Les Goths, cantonnés dans les régions stratégiques de la péninsule, s'arrogèrent le monopole des affaires militaires et supervisèrent une administration civile « romaine ». On retrouve d'ailleurs chez eux des titres et des fonctions attestés chez les Wisigoths d'Aquitaine et d'Espagne : dux (chef de l'armée), comes (gouverneur de cité ou de province) spatharius ou « porte-épée » (confident du roi); les saiones étaient en Italie des messagers royaux et contrôlaient l'administration, le millenarius était un propriétaire ayant autorité sur un ou plusieurs milliers de Goths.
Il n'y eut pas de persécutions religieuses, et les élites romaines se pressèrent à la cour brillante de Théodoric. C'est d'ailleurs le sénateur Cassiodore, consul et préfet sous Théodoric, qui rédigea la première, histoire des Goths, apologie de la dynastie sacrée des Amales (dont il ne nous reste, hélas, que l'abrégé de Jordanès). Le grand roi ostrogoth rêvait de prendre la tête d'un nouvel Occident germano-romain fédérant les royaumes à direction « barbare », et il pesa d'un poids considérable dans les rapports qu'entretinrent ces Etats durant son règne ; c'est notamment lui qui, en 507, sauva les Wisigoths de l'anéantissement - en les mettant d'ailleurs sous sa propre tutelle - et brida les ambitions franques.
A la mort de Théodoric (526), l'édifice s'avéra suffisamment solide et sa fille Amalasonthe lui succéda, d'abord comme régente pour son propre fils Amalaric (526-34), ensuite comme épouse du nouveau roi Théodahat (534-36), personnage sinistre qui la fit assassiner en 535. C'est ce meurtre qui fut le prétexte (comme, chez les Vandales, l'usurpation de Gélimer) de l'intervention byzantine. La très laborieuse « reconquête » de l'Italie dura exactement vingt ans (535-55) et fut la plus difficile des entreprises de Justinien, ce qui parle en faveur des qualités guerrières des Goths, mais aussi de l'excellence de leur organisation militaire.
La structure et les tactiques de l'armée ostrogothe nous sont connues à travers différents documents émanant de la cour de Ravenne (lois, correspondance, etc.), et aussi par les récits de bataille de Procope (Guerre gothique). Sans doute formée sur une base décimale, elle était, sous Théodoric, commandée par un dux. Les guerriers étaient payés par l'Etat, au moyen de revenus fiscaux et d'un don annuel du roi. Outre les Ostrogoths, la population militarisée « barbare » comprenait des Ruges, des Gépides, des Alamans, etc.
Procope, dans l'un des discours qu'il prête à Bélisaire, décrit ainsi les guerriers ostrogoths : « Pratiquement tous les Romains et leurs alliés, les Huns, sont de bons archers montés, mais nul parmi les Goths n'a de pratique dans ce domaine, car leurs cavaliers sont habitués à n'utiliser que des lances et des épées, cependant que leurs archers ne vont au combat qu'à pied et sous la protection des fantassins lourds [litt. : « des hoplites »]. Aussi les cavaliers, sauf si l'on se bat de près, n'ont aucun moyen de se défendre contre des adversaires qui utilisent l'arc, et peuvent ainsi être aisément touchés par les flèches et détruits ; et quant aux fantassins, ils ne peuvent jamais être assez forts pour faire des attaques contre des hommes à cheval » (Guerre gothique, V, 87). Ce tableau sommaire doit être complété par d'autres indications, notamment la mention de l'usage de javelines par les cavaliers.
La cavalerie formait la part la plus importante et la plus prestigieuse de l'armée. Une certaine imprécision des sources entretient un débat entre historiens (E. A. Thompson, H. Wolfram, P. Barker, R. Boss...) sur l'équipement et les tactiques de cette cavalerie. En réalité, elle employait des armes et des méthodes de combat assez diversifiées, et était propre tant aux batailles rangées qu'à la guerre d'escarmouches et d'embuscades.
Procope décrit une troupe de cavaliers goths cuirassés, sur des montures caparaçonnées (Guerre gothique, V, 16, 11) : des « cataphractaires » de style sarmate ou sarmato-romain. En une autre occasion, il montre des Goths attaquant « avec leurs longues lances en formation serrée » (Guerre perse, II, 18, 24), ce qui correspond à la tactique sarmato-alaine. Jordanès attribue également aux Goths l'usage du contus, la lance longue d'origine sarmate. Il paraît donc certain qu'une partie de la cavalerie ostrogothe (l'aristocratie ?) était formée de lanciers lourds de type sarmato-alain. Cette pratique pouvait remonter à l'époque pré-hunnique et aux contacts entre le royaume goth d'Ukraine et les Alains (cf. chap. 3), ou s'être développée plus tardivement chez les Ostrogoths vassaux des Huns, au Ve siècle. D'autres détails et anecdotes reflètent l'influence des nomades de la steppe : le fait que les Ostrogoths aient dirigé leurs chevaux par la seule pression des cuisses (Eustathe, fragment 3), l'usage du lasso (Olympiodore, Jean Malalas), la ruse classique de la fuite simulée, ou encore l'étonnante démonstration de virtuosité équestre du roi Totila avant la bataille de Taginae.
Par ailleurs, l'usage de javelines et le fait que les cavaliers goths aient mis pied à terre pour combattre à la bataille du Mont Lactaire sont des traits plutôt germaniques, comme le port de boucliers assez grands.
L'infanterie était équipée principalement de boucliers et de lances, et servait de soutien et éventuellement de protection aux archers et même à la cavalerie entre deux charges. Pour ce faire, elle formait probablement un « mur de boucliers »; le terme de « hoplite » que Procope applique aux fantassins ostrogoths évoque en tout cas des troupes manœuvrant en ordre.
Au cours de leur guerre contre les Byzantins, les Goths eurent à faire le siège de diverses villes et utilisèrent en certaines occasions (sans succès, d'ailleurs) des engins comme la classique « hélépole » ou tour mobile. L'influence romaine est ici évidente.
L'armement était produit en grande partie par les manufactures d'Etat romaines, qui continuaient à fonctionner sous les rois ostrogoths. Il existait également des entrepôts et des haras et écuries militaires. En 536-37, Vitigès utilisa ceux d'Italie du Nord pour équiper ses troupes.
La longueur de la « reconquête » byzantine conduite par Bélisaire, puis Germanus et Narsès, les hauts et les bas de la guerre, montrent que les adversaires se valaient - y compris sur les plans stratégique et tactique. Une première phase se termina en 540 avec la reddition de Vitigès, une autre commença l'année suivante avec l'élection comme roi du redoutable Totila, qui mena la guerre à grande échelle, y compris sur mer, dévastant la Sicile et s'emparant de la Corse et de la Sardaigne.
En 552, Narsès conduisit en Italie une nombreuse armée composée en grande partie de Lombards, Hérules, Gépides et Huns, qui surclassait numériquement les forces gothiques. Il rechercha l'engagement décisif et l'obtint. Totila fut tué à Taginae en Ombrie (juin ou juillet 552), et son successeur Teias quelques mois plus tard au Mont Lactaire (Mons Lactarius), près de Naples. Les Ostrogoths vaincus négocièrent une capitulation honorable qui prévoyait leur départ d'Italie. Le sort de ceux qui émigrèrent vraiment est inconnu. Aux interrogations des historiens, on peut préférer l'imagination romantique de ce Lied allemand sombre à souhait :
« Nous sommes les derniers Goths.
Nous ne portons plus de trésors.
Nous portons notre roi mort,
Couché sur un brancard fait de lances de frêne,
Vers l'île si lointaine de Thulé ».
En réalité, de nombreux Goths demeurèrent dans la péninsule, où la loi gothique s'appliquait encore à certaines communautés au VIII' siècle; mais ils n'y jouèrent plus de rôle autonome. Le souvenir du grand royaume ostrogoth demeura assez vivace chez les Germains pour inspirer le cycle épique de Dietrich von Bern, dont les héros Dietrich et Witige sont les rois ostrogoths Théodoric « de Vérone » et Vitigès.
Les causes ultimes de la défaite des royaumes fondés par les Germains orientaux sont probablement d'ordre moins strictement militaire (on a souligné l'absence totale d'archers montés, largement utilisés par les Byzantins) que d'ordre démographique. Coupés définitivement de leurs patries d'origine, les Germains orientaux constituaient une petite minorité au sein de populations « romaines » parfois hostiles. Après une défaite, ou même une victoire trop coûteuse, ils n'avaient aucun moyen de recompléter rapidement leurs effectifs. Or, leurs principaux ennemis se trouvaient à cet égard dans des situations bien plus favorables : les Francs étaient restés en contact avec leur foyer rhénan; et les Byzantins pouvaient recruter sur un immense territoire et avaient les moyens de payer les services des mercenaires étrangers dont les compétences leur étaient nécessaires. Dans ces conditions, le bon accueil fait en Aquitaine, en Italie ou en Burgondie aux « Barbares » de toutes provenances relevait autant de l'intérêt stratégique bien compris que de l'hospitalité. Les rois ostrogoths recherchèrent l'alliance des Francs contre l'empire d'Orient, et Totila essaya même d'enrôler des esclaves.
Les Francs, la culture militaire mérovingienne et les autres Germains occidentaux
Les Francs, Germains du groupe occidental, n'apparaissent dans les sources romaines qu'à partir du milieu du IIIe siècle ; ils étaient à cette époque une constellation de tribus (Chamaves, Sicambres, Bructères, Chattes, etc.) localisées sur la rive droite du Rhin. Ils se distinguaient, comme leurs cousins saxons, par leurs aptitudes maritimes.
Dès ses débuts, l'histoire des Francs fut intimement liée à l'Empire romain. Ils étaient à la fois l'une des nuisances frontalières contre lesquelles tous les empereurs devaient lutter (Constantin fit jeter aux fauves, à Trèves, deux rois francs prisonniers), et l'une des principales sources de recrutement d'auxiliaires « barbares » en Occident. A la veille des Grandes Invasions, cette ambivalence existait toujours : Valentinien I (364-75) fut salué Francicus Maximus à la suite de ses victoires sur les « Barbares » rhénans; mais à la même époque, des généraux francs occupaient les plus hauts postes de commandement de l'armée occidentale. En fait, il n'existait aucune solidarité ethnique entre les Francs, dont les chefs menaient, chacun de son côté, des politiques opportunistes.
La véritable expansion des Francs en Gaule commença au Ve siècle, à la faveur du désordre créé par l'invasion de 406 et de l'affaiblissement du pouvoir romain. Dans les années 410 à 440, les affrontements entre Francs et Romains furent nombreux. Malgré les succès d'Aetius, les Francs progressèrent globalement sur la rive gauche du Rhin. La tribu des Saliens s'empara notamment de Tournai, qui devint sa capitale; son chef était alors Clodion, qui serait selon la tradition franque le premier représentant connu de la dynastie « mérovingienne ». Les Francs « ripuaires », au sud-est, s'emparèrent de Trêves en 455.
Dans les années 460-80, le roi des Francs Saliens, Childéric, joua un rôle actif en Gaule septentrionale comme allié des dernières autorités « romaines » : il soutint Aegidius, ancien adjoint d'Aetius devenu « maître des soldats » de l'empereur Majorien, contre les Wisigoths (463), puis son successeur le comes Paul. Grégoire de Tours prétend qu'après la mort de Paul, tué en 469 à Angers par des pirates saxons, Childéric se serait allié à leur chef Adovacrius pour lutter contre des « Alamans » qui pourraient être en fait, selon les commentateurs modernes, les Alains de la Loire établis là depuis 442. Childéric mourut en 481 ou 482 et fut enterré à Tournai : les opérations militaires des Francs entre Somme et Loire ne s'étaient accompagnées d'aucune migration, d'aucun établissement permanent.
A la fin du Ve siècle, il existait au moins quatre royaumes francs distincts sur les deux rives du Rhin. Le règne du fils de Childéric, Clovis (481/2-511), vit à la fois leur unification et la conquête d'une grande partie des Gaules.
La chronologie de ce règne n'est pas parfaitement établie, et les dates précises de certains évènements capitaux, comme la conversion du roi au catholicisme, sont toujours débattues. Les grandes lignes sont néanmoins assez claires.
Clovis s'attaqua d'abord à la Gaule septentrionale, placée depuis 469 sous l'autorité de Syagrius, fils d'Aegidius. Au nord des possessions wisigothes et burgondes, c'était une enclave théoriquement « romaine » au statut assez flou, contrôlée par des troupes majoritairement « barbares ». L'armée de Syagrius fut battue à Soissons en 486 et probablement incorporée aux forces franques. L'annexion des territoires entre Somme et Loire se fit sans doute progressivement, d'est en ouest, et non sans mal, puisque Clovis fut obligé de traiter avec les « Armoricains », c'est-à-dire avec la population de Gaule du Nord-Ouest désormais encadrée par les chefs bretons émigrés d'outre-Manche.
A l'est de son royaume, Clovis remporta des victoires sur les Thuringiens, et surtout sur les Alamans (496). C'est durant la guerre contre les Alamans qu'il aurait décidé de se convertir au christianisme, et son baptême eut probablement lieu en 496 ou 499. Cette conversion - au catholicisme, et non à l'arianisme des Germains orientaux - lui apporta le soutien de l'Eglise des Gaules, et la sympathie des populations catholiques.
Le facteur religieux joua un certain rôle dans la campagne que Clovis entreprit ensuite contre les Wisigoths d'Aquitaine (507) et qui permit l'annexion de la plus grande partie du « royaume de Toulouse ». Il favorisa ensuite le rapprochement, assez rapide semble-t-il, entre Francs et Gallo-Romains.
La défaite des Wisigoths fut saluée par l'empereur Anastase, qui espérait peut-être que Clovis reconnaîtrait l'autorité de Constantinople et lui envoya les insignes d'un « patriciat » ou d'un « consulat » évidemment honoraire (cérémonie de Tours, 508).
Parallèlement à ces conquêtes gauloises, Clovis avait procédé à l'unification des Francs, recourant sans hésiter à la corruption et au meurtre politique. Il se débarrassa ainsi du roi de Cologne (Sigebert), assassinant ses fils et héritiers après les avoir poussés à tuer leur père, et de celui de Cambrai (Ragnachaire et ses frères). En 509, il fut reconnu roi des Francs Ripuaires.
Clovis mourut en 511. Bien que le royaume franc ait été partagé entre ses fils, ceux-ci poursuivirent les conquêtes. La Burgondie tomba en 534. Les Francs profitèrent de la guerre entre Ostrogoths et Byzantins pour annexer la Provence (537) et mener des expéditions en Italie, dont les Byzantins ne parvinrent à les expulser qu'après 553 (bataille de Casilinum).
La disparition du royaume ostrogoth, qui exerçait une certaine influence sur différents peuples germaniques de l'actuelle Allemagne, permit également aux Francs d'établir une sorte de protectorat sur la Hesse, la Bavière et la Thuringe. A la fin des années 530, les royaumes francs et l'empire d'Orient avaient une frontière commune en Pannonie. A partir des années 560 cependant, cette expansion vers l'est se heurta aux Avars du bassin des Carpathes.
Malgré ses divisions, le royaume fondé par Clovis survécut à tous ses rivaux en Occident pour devenir au IXe siècle un nouvel empire de tradition germano-romaine, matrice de l'Allemagne et de la France modernes.
Les traditions guerrières des Francs et leur évolution aux IVe-VIe siècles peuvent être reconstituées à l'aide d'un matériel archéologique abondant - les guerriers étaient enterrés avec leurs armes - et de sources littéraires romaines, byzantines, et même gallo-franques (Grégoire de Tours).
Toutes ces données concordent pour présenter les Francs de la période des Grandes Invasions comme des fantassins presque exclusifs, bien pourvus en armes offensives (avec une prédilection pour la hache de jet), l'équipement défensif se limitant habituellement au bouclier.
Sidoine Apollinaire a laissé deux descriptions, devenues classiques, des Francs de la seconde moitié du Ve siècle. La première figure dans le Panégyrique de Majorien (Carmen V) : « leur chevelure rousse, tirée vers le front, s'étale sur le sommet du crâne ; leur nuque dégarnie reluit, ayant perdu ses poils raides; dans leurs yeux pers brille un clair regard ; leur visage entièrement rasé ne laisse aux soins du peigne que d'étroites moustaches. Une tunique très serrée enferme le grand corps de ces guerriers ; le vêtement relevé laisse à découvert le genou ; une large ceinture soutient leur ventre étroit. Ils se plaisent à lancer dans les vastes espaces leur rapide hache à deux tranchants, en prévoyant l'endroit de sa chute, à faire tournoyer leur bouclier, à dépasser d'un bond le javelot qu'ils ont brandi et à tomber avant lui sur l'ennemi. Dès les années d'enfance, ils ont un amour viril de la guerre. S'il leur arrive d'être accablés par le nombre ou par le hasard de la position, la mort les abat, non la crainte; sans s'avouer vaincus, ils résistent jusqu'au bout et il semble qu'alors leur courage survive à leur dernier souffle ».
La seconde (Lettres, IV, 20) complète la première, car elle concerne l'équipement luxueux de l'aristocratie franque vers 469 : « Toi qui aimes à regarder fréquemment des armes et des hommes d'armes, quel plaisir tu aurais, je pense, éprouvé, si tu avais vu le jeune prince royal Sigismer, paré suivant l'usage et la mode de sa nation, se rendre au palais de son beau-père [le roi burgonde, à Lyon], en sa qualité de fiancé ou de prétendant ! Un cheval orné de phalères le précédait ; que dis-je ? des chevaux chargés de pierreries étincelantes le précédaient et le suivaient ; mais ce qu'il y avait de plus beau, ce qui attirait le plus les regards dans ce cortège, c'était le jeune prince lui-même, marchant à pied au milieu de sa garde et de ses gens, flamboyant dans son manteau d'écarlate, étincelant d'or, éclatant de blancheur dans sa tunique de soie, tandis que sa chevelure, son teint, sa peau s'accordaient par leur couleur à cette riche parure. Quant aux princes et aux fidèles qui l'accompagnaient, leur aspect inspirait la terreur, même en temps de paix. Leur pied était enfermé dans une demi-botte couverte de poils, lacée sur le cou-de-pied et recouvrant entièrement la cheville ; le genou, la jambe et le mollet étaient dépourvus de protection ; la tunique haute, serrée, bariolée, descendait à peine à la hauteur du jarret qui restait découvert; les manches ne cachaient que la naissance du bras ; les sayons verts étaient brodés de franges pourpres ; les épées, suspendues à des baudriers qui passaient par dessus l'épaule, s'appuyaient à la taille enfermée dans des ceinturons de peau de renne ornés de clous. L'équipement qui protégeait ces guerriers était aussi pour eux une parure: des lances à crochets et des haches de jet leur garnissaient la main droite, tandis que leur flanc gauche était masqué par des boucliers dont l'éclat, blanc sur les bords, fauve sur le renflement central, trahissait la richesse autant que la passion des armes ».
Ces portraits littéraires ont des confirmations archéologiques. Les tombes franques livrent effectivement épées longues (souvent damassées à partir du milieu du Ve siècle), lances et javelots (dont le type à « crochets »), umbos de boucliers tronconiques terminés par un bouton, nombreuses haches de jet. A l'inverse, les cuirasses ou cottes de mailles et les casques en sont absents, de même que les harnachements de chevaux.
La tombe de Childéric, découverte à Tournai en 1653, montre la diffusion dans l'aristocratie franque des modes « danubiennes », empruntées à d'autres peuples germaniques ou aux élites très « barbarisées » des ultimes armées romaines de Gaule. Elle comprenait notamment les garnitures à décor cloisonné d'une épée longue et d'un scramasaxe de très belle qualité, dont la provenance est controversée. On connaît un certain nombre d'autres tombes de « chefs », et la mention par Sidoine des « fidèles » montre que ces chefs, suivant la tradition germanique, avaient leur suite de compagnons. Celle du roi est nommée par les textes postérieurs truste, et ses membres les antrustions.
Après les conquêtes de Clovis, le système militaire franc s'adapta aux nouvelles dimensions du royaume; le recrutement se fit sur une base non plus clanique ou tribale, mais territoriale (par « cité »). C'est à partir du règne des petits-enfants de Clovis que les Gallo-Romains furent progressivement intégrés à l'armée, où ils formèrent d'abord des contingents séparés.
Les descriptions byzantines des guerriers francs, qui se rapportent aux années 530-550, montrent que l'équipement et les méthodes de combat n'avaient guère changé en un siècle. Procope (Guerre gothique, VI, 25) les dépeint ainsi : « ils avaient un petit corps de cavalerie autour de leur chef, et c'étaient les seuls armés de lances, alors que tous les autres étaient des fantassins qui n'avaient ni arcs ni lances, mais chaque homme portait une épée et un bouclier et une hache. Or le fer de cette arme était épais et excessivement tranchant des deux côtés, alors que le manche de bois était très court. Et ils sont accoutumés à toujours lancer ces haches à un signal dans la première charge, et à fracasser ainsi les boucliers de l'ennemi et à tuer les hommes. »
Agathias (Histoire de l'empereur Justinien, VI) est encore plus détaillé: « Les uns affûtaient de nombreuses haches de combat, d'autres des lances, leurs armes nationales qu'ils appellent angons, d'autres enfin remettaient en état leurs boucliers fracassés; tous ces travaux étaient faits aisément, car l'armement de ce peuple est fort simple et peu compliqué ( ...). Ils ne connaissent ni cuirasses, ni jambières. La plupart d'entre eux ne se protègent point la tête; peu nombreux sont ceux qui marchent au combat casqués. Leur poitrine, leur dos, sont nus jusqu'à la ceinture; leurs jambes sont entièrement couvertes de braies ou de pantalons, tantôt de lin et tantôt de peau. Ils ne font pas usage de chevaux, à l'exception d'un petit nombre d'entre eux, car ils sont parfaitement exercés au combat à pied qui est leur manière nationale de combattre. Le glaive pend le long de leur cuisse, le bouclier à leur côté gauche; ils ne font usage ni d'arcs, ni de frondes, ni d'autres traits que l'on lance au loin ; c'est avec leur hache à deux tranchants et avec leurs angons qu'ils mènent le combat ».
Les observateurs byzantins furent en outre frappés par la sauvagerie des Francs de Théodebert engagés en Italie en 539 : lors de leur passage du Pô, ils sacrifièrent des victimes humaines au dieu du fleuve (ce qui suggère qu'ils avaient été recrutés non en Gaule, mais dans les territoires francs encore païens de Germanie). Ensuite, ils attaquèrent successivement les Goths qui les recevaient comme des alliés, puis les Byzantins qui se réjouissaient prématurément de ce renfort !
Cette image des fantassins francs lançant leurs haches avant de rechercher le corps à corps est statistiquement vraie, mais elle doit être complétée sur certains points. L'arc, par exemple, était sûrement employé. De même, on a plusieurs indices de l'existence d'une cavalerie au VI' siècle. Dès 507, Clovis avait fait supplicier un guerrier qui avait volé du fourrage - pour son cheval ? En 531, « beaucoup de cavaliers francs » tombèrent dans une embuscade tendue par les Thuringiens. Peut-être le noyau de cette cavalerie fut-il formé à l'origine, outre les chefs, par les derniers Alains, Sarmates ou Taïfales cantonnés en Gaule au moment de la conquête franque (Grégoire de Tours présente encore les Taïfales comme une population distincte). En matière poliorcétique enfin, l'emploi de machines de guerre est signalé sporadiquement, par exemple à l'occasion du siège de Comminges en 585 (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, VII, 38).
L'épisode de 507 montre que la discipline pouvait être stricte, et l'on trouve chez Procope (à propos du jet concerté des haches) comme chez Grégoire de Tours des allusions à des signaux employés durant le combat. La ruée des Francs pouvait être impétueuse, elle n'était sûrement pas désordonnée.
A la fin du VIe siècle, au terme de la période qui nous intéresse, de rares cuirasses apparaissent dans les tombes les plus riches (Krefeld-Gellep, tombe 2589). Elles sont du type « lamellaire » et trahissent une évidente influence orientale. Elles appartiennent déjà à une nouvelle époque : celle de la lutte contre les Avars.
Le reste de l'équipement comprend toujours l'épée longue et le scramasaxe court, des lances et javelots (mais l'«angon» à crochets est devenu rare), et des haches qui s'éloignent progressivement du type caractéristique à double courbure.
La tombe de Morken près de Bonn (Allemagne), datée de cette fin du VIe siècle, est l'un des derniers exemples de sépultures de « chefs » de l'époque mérovingienne ; à la période suivante, d'ailleurs, le nombre des tombes à armes décline fortement.
Il importe de comprendre que cet armement mérovingien, à base germanique ou germano-romaine, perdit progressivement toute spécificité ethnique. Il incorpora à différentes reprises des éléments d'origines diverses, comme les scramasaxes, les casques composites ou les cuirasses lamellaires, sans parler des décors polychromes. Ensuite, l'expansion et le prestige militaire croissant des Francs diffusèrent largement cet équipement de synthèse. Il fut universellement adopté en Gaule - y compris, bien sûr, par la population gallo-romaine quand elle commença à servir dans l'armée franque et par les « Barbares » ralliés - et dans une grande partie de la Germanie à l'est du Rhin. On en trouve des éléments jusque chez les Wisigoths d'Espagne (francisca ou hache de jet citée par Isidore de Séville) et les Saxons d'Angleterre. Il servit de base à l'évolution ultérieure de l'armement occidental du haut Moyen Age, puis du Moyen Age classique.
Parmi les Germains de l'ouest, deux autres peuples conquirent et surtout colonisèrent durablement des parties de l'Occident romain : les Alamans et les AngloSaxons. Leurs traditions militaires offrent des points de comparaison intéressants avec celles des Francs.
Les Alamans, cette confédération de « tous les hommes » à base peut-être suève, avaient été tenus en respect jusqu'à la fin du IV' siècle par l'armée romaine. Ils profitèrent de l'écroulement du limes rhénan lors de l'invasion des Gaules en 406-407 pour envahir l'Alsace et le Palatinat. Ils firent un moment figure de rivaux des Francs avant d'être vaincus par eux à la fin du V' et au début du VI' siècle et de leur céder une partie de leurs conquêtes. Leur expansion s'orienta alors davantage vers le sud et l'Helvétie. Ils ne furent plus en mesure de concurrencer politiquement les royaumes mérovingiens et devinrent par la suite une partie du peuple allemand en formation, mais l'Alsace et la Suisse « alémaniques » leur doivent leurs parlers et leur spécificité culturelle.
Les Alamans se convertirent au christianisme à partir des années 590.
Sur le plan militaire, les Alamans paraissent s'être situés entre le modèle franc et celui de Germains danubiens comme les Suèves. La cavalerie jouait chez eux un rôle plus important que chez les Francs, et certains équipements comme les protections lamellaires (cf. chap. 12) témoignent d'influences orientales.
Quant aux « Anglo-Saxons » (en fait un ensemble assez flou comprenant des Saxons au sens strict, les Angles, les mystérieux Jutes, peut-être quelques Francs...), c'est le retrait des légions en 407 qui leur permit d'entreprendre la colonisation de la Grande-Bretagne, cible traditionnelle de leurs incursions depuis la fin du IP siècle. Ils se heurtèrent à la résistance des chefs bretons romanisés symbolisés par les personnages semi-légendaires d'Ambrosius Aurelianus (Emrys Wledig) et Arthur, mais leur avance inexorable d'est en ouest aux Ve et VIe siècles finit par transformer une grande partie de la Britannia romaine en une « Angleterre » germanique et païenne. Par contrecoup, l'émigration vers le continent de nombreux Celtes chrétiens et très superficiellement romanisés créa en Armorique une nouvelle « Bretagne ».
On laissera ici de côté la question des invasions pictes et irlandaises qui ne se rattache pas à l'expansion des Germains.
Une armée anglo-saxonne (here) était classiquement organisée autour de la « suite » d'un chef ou roi, la hearthweru, groupant les gesith ou compagnons jurés. Le reste des troupes se composait de la « levée », fyrd, c'est-à-dire de tous les hommes du commun (ceorl) en âge de combattre. Les forces étaient souvent peu nombreuses : la loi du Wessex, rédigée à la fin du VIIe siècle, qualifie d'« armée » toute troupe de plus de 35 hommes, et le poème anglo-saxon du Combat de Finnsburgh décrit une « armée » de 60 guerriers ! Le roi du Sussex Aelle, qui se proclama vers 500 bretwalda (« souverain de la Bretagne »), serait arrivé dans l'île en 477 avec seulement trois navires. Son rival Cerdic de Wessex, arrivé en 495, aurait commandé cinq bateaux.
Comme chez les Francs, l'infanterie était la « reine des batailles ». Les armes les plus courantes étaient la lance (et les javelines) et le grand couteau ou coutelas (seax), l'équivalent du « scramasaxe » continental. L'épée était plus rare - quoique dans des proportions variables suivant les régions et les périodes. Le bouclier était, comme chez les autres Germains, le seul équipement défensif accessible aux simples ceorl. La cuirasse (généralement une cotte de mailles, byrnie) et surtout le casque étaient le privilège des chefs et des membres de leurs suites, et les poèmes épiques anglo-saxons les présentent toujours comme des objets de grand prix. Les dons du roi Hrothgar au héros Beowulf comprennent ainsi, outre un étendard d'or, un casque, une cotte de mailles, une belle épée, et huit chevaux avec des brides et une selle richement ornées : toutes choses dont ne pouvait que rêver le combattant moyen.
Il est possible que l'absence ou le faible développement de la cavalerie ait désavantagé les Anglo-Saxons face aux Bretons ; la légende de la « chevalerie arthurienne » semble reposer sur l'existence, au début du VIe siècle, d'une force montée bretonne probablement inspirée de la cavalerie romaine tardive. On a supposé que l'un de ses modèles avait pu être les troupes auxiliaires sarmates stationnées dans l'île de 175 au début du Ve siècle au moins : les récits arthuriens présentent de curieuses traces de contamination par des mythes sarmato-alains.
Suite partie II