Mathias Waelli, Caissière... et après ?. Une enquête parmi les travailleurs de la grande distribution,
Puf,
Coll « Partage du savoir », 2009
L'ouvrage de Mathias Waelli pourrait offrir un exemple parfait au dernier livre de Jean Peneff, Le goût de l'observation. Comprendre et pratiquer l'observation participante en sciences sociales. C'est en effet un récit riche et fouillé de multiples enquêtes menées dans des supermarchés. Caissière... et après ? Une enquête parmi les travailleurs de la grande distribution retrace l'expérience de l'auteur pendant cinq années d'observation participante dans plusieurs hypermarchés de la grande distribution française. L'ouvrage offre un récit impliqué et très agréable à lire, qui témoigne d'un goût de l'enquête prononcé et d'une capacité à mener de front, activité professionnelle et enquête de terrain.
L'ouvrage prend la forme d'un récit chronologique des différentes expériences de terrain. L'auteur prend le soin de présenter chaque nouvelle situation d'enquête, de façon précise et toujours pertinente. Le lecteur fait connaissance avec les enquêtés, les contacts sur le terrain... D'un point de vue méthodologique, le livre est efficace. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser envisager, l'expérience du terrain ne se limite pas aux seules expériences en caisse, mais a été menée, depuis différents postes d'observation : caisses, linéaire, service de facture...
Les analyses sont quant à elles distillées tout au long de l'ouvrage : polyvalence des tâches, routine, service au client, féminisation du travail, rapports à la hiérarchie au travail, liens tissés pendant les pauses sont évoqués au travers de cas concrets. Seul un chapitre conclusif « Retour sur les mondes » propose une analyse plus systématique du travail des caissières.
Un point reste cependant gênant : le concept théorique sur lequel semble reposer l'analyse n'est jamais explicité, ni même mobilisé en tant que tel. A plusieurs reprises, le terme de « monde » est utilisé, pour caractériser des parties présentant des collègues de travail : « Le monde de Jocelyne » (p 51), « Le monde de Catherine » (p 53), « Habitantes d'un monde liquide » (p 55), « Le monde de Marie : un collectif solidaire » (p 87)...mais il n'est pas repris dans le cours de la présentation. De sorte que l'on se demande s'il s'agit d'un outil théorique d'analyse ou non. Réutilisé dans la partie à vocation synthétique de la fin, « Retour sur les mondes », le terme n'est pas plus référencé ou explicité. On se demande donc pour finir, quel est le terreau théorique dont se nourrit l'analyse. Faut-il lire l'ouvrage comme un témoignage sur le monde du travail en caisse, comme y invite la première phrase de la conclusion (p 235) : « Ce témoignage n'aurait d'autre objet que narcissique ... » ?
Si tel est le cas, Mathias Waelli nous offre un témoignage de qualité, dense et diversifié. Son livre est une invitation à percevoir autrement le monde de la grande distribution : de l'intérieur, du point de vue de ceux qui y travaillent aux postes stratégiques et cependant peu reconnus. Les logiques des acteurs sont toujours bien rendues. Ce livre réussit le pari de faire mieux connaître les travailleurs de la grande distribution, en transportant le lecteur dans les zones d'ombres des hypermarchés.
Frédérique