Jonathan Demme est un cinéaste intéressant, car poursuivant une carrière assez atypique. Le bonhomme a gravi peu à peu les échelons de l’industrie cinématographique hollywoodienne, commençant comme scénariste chez New World, la société du pape de la série B américaine, Roger Corman puis réalisant des œuvres de plus en plus ambitieuses, de Meurtres en cascade à Veuve mais pas trop, en passant par Dangereuse sous tous rapports. Au début des années 1990, il devient l’un des metteurs en scène les plus influents du cinéma américain, après avoir enchaîné deux succès majeurs, Le silence des agneaux et Philadelphia, qui ont conquis à la fois le public et les critiques. Il aurait pu profiter de cette voie royale qui s’ouvrait devant lui, mais il a préféré ne pas sombrer dans la facilité et prendre un peu de recul par rapport aux studios hollywoodiens, s’accordant une longue pause. S’il continue de réaliser des films formatés pour le grand public, comme le prouvent La vérité sur Charlie et Un crime dans la tête, deux remakes de vieux classiques du cinéma américain, il profite aussi de sa relative liberté pour réaliser des films plus personnels, notamment des documentaires musicaux (Neil Young trunk show, Marley) ou engagés (The agronomist), et le film qui nous intéresse aujourd’hui, une chronique familiale intimiste dénuée de spectaculaire.
Rachel se marie, comme son titre l’indique, est l’histoire d’un mariage, des préparatifs jusqu’au matin de la nuit de noces, et présente l’originalité d’être filmé à la façon d’un vidéaste amateur glissé parmi les proches de la mariée. La démarche, audacieuse, a le mérite de coller au plus près des personnages principaux, mais elle s’avère rapidement pesante. Les images tremblantes, filmées caméra au poing ou à l’épaule, filent au choix le tournis ou un mal de crâne, et le montage très brut de décoffrage n’arrange rien, d’autant que la mise en scène ne nous épargne rien des différentes étapes de la noce. Du coup, on vraiment l’impression de regarder la vidéo d’un mariage, avec ses morceaux de bravoure mais aussi ses longueurs. Et si on peut parfois trouver le temps long lors du visionnage de vieux films de famille, ce n’est rien à côté de l’ennui qui peut survenir lorsque ces derniers concernent de parfaits inconnus…
Mais ce dispositif vaguement lénifiant a pour but de mieux faire ressortir les moments-clés, ceux où la façade de la cohésion familiale se fissure pour laisser entrevoir des frustrations, des déchirures, des rancoeurs… La légèreté des moments de fête pourrait laisser penser à une comédie, mais c’est bien un drame auquel Jonathan Demme nous convie.Le titre est d’ailleurs un trompe-l’œil. Le personnage principal n’est pas Rachel, la mariée, mais sa sœur, Kym, une droguée/alcoolique qui sort tout juste d’une cure de désintoxication.
Sa présence, et les inquiétudes qu’elle suscite, vont alourdir l’ambiance de la noce. Elle réveille de vieilles rancoeurs chez Rachel, qui a toujours souffert que son aînée, et ses problèmes de dépendance, accaparent toute l’affection de ses parents. Pour une fois, à l’occasion de ce jour si spécial, elle aimerait être au centre des conversations et des attentions.
Elle n’est pas la seule à être frustrée. Chaque personnage essaie de ne rien laisser paraître, mais il ne fait aucun doute que chacun souffre en silence. Le père, Paul, est perturbé par la perspective de voir partir sa cadette et le retour de l’aînée, jusqu’ici incontrôlable ne le rassure pas vraiment. La mère, Abby, a été tenue à l’écart des préparatifs du mariage, au profit de Carol, la nouvelle femme de Paul, et on sent que si elle fait mine de s’en moquer, cela la contrarie. Quant à Kym, elle a du mal à supporter la méfiance de son entourage à son encontre. On la tient à l’écart pour qu’elle ne perturbe pas la cérémonie, mais dans le même temps, on l’entoure d’une affection étouffante, on surveille le moindre de ses faits et gestes, de façon à ce qu’elle ne replonge plus dans la dépendance…
A tout ceci s’ajoute un drame ancien, qui a occasionné des blessures psychologiques profondes, jamais vraiment cicatrisées, un deuil douloureux. Le retour de Kym va le faire remonter à la surface et occasionner de violents règlements de compte au sein de cette famille brisée…
Cette trame permet de beaux moments d’intensité dramatique, notamment de mémorables joutes verbales où les acteurs peuvent s’en donner à cœur joie. Ils sont tous excellents : de Bill Irwin, parfait en patriarche dépassé par les événements à Tunde Adebimpe, le marié qui subit en silence les tensions de sa belle-famille ; de Debra Winger, qui fait ici son grand retour sur le devant de la scène, à Rosemarie DeWitt, une révélation dans le rôle difficile de Rachel.
Mais c’est Anne Hathaway qui porte le film. On est heureux de voir l’actrice exprimer – enfin ! – ses qualités d’actrice dans un rôle intéressant. Le personnage de Kim, à la fois fort et fragile, en quête d’une impossible rédemption, constituait en effet le vecteur idéal pour permettre à l’interprète du Diable s’habille en Prada de montrer l’étendue de son talent.
Grâce à elle, grâce à ses brillants partenaires, le film acquiert une certaine intensité, ainsi qu’une certaine profondeur. Il manque toutefois à cette douloureuse histoire de famille le côté sulfureux d’une œuvre comme le Festen de Tomas Vinterberg, par exemple, ou l’acidité d’un Robert Altman (Un mariage), référence avouée du cinéaste.
Rachel se marie n’est pas dénué de qualités, mais il suscite hélas un peu trop l’ennui pour que l’on y adhère totalement. Le cinéphile saura peut-être passer outre ce rythme mollasson, mais il est fort à parier que le spectateur lambda, lui, ne sera pas à la noce. Dommage…
Note :
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