Magazine Autres musiques

La glace et le feu... Follet !

Publié le 25 avril 2009 par Philippe Delaide

En opposition à la déception traduite par ma note sur des pièces de JS Bach enregistrées par Hélène Grimaud (cf. note du 9 décembre 2008), le film enregistré par Bruno Monsaingeon sur David Fray, enregistrant trois concertos pour piano et orchestre de JS Bach avec le Deutsche Kammerphilharmonie Bremen permet de découvrir une version que je qualifierais volontiers d'intrigante.

La critique a parlé du mariage de la carpe et du lapin en mentionnant à quel point les deux visions de JS Bach s'opposaient car le disque d'Hélène Grimaud était pratiquement sorti au même moment que celui de David Fray (d'ailleurs, comme me l'a judicieusement mentionné Racha Arodaky, avec le même orchestre !). C'est assurément l'opposition de la glace et du feu. Ce feu, plutôt follet, incarné par le jeu vif et en apparence agité du jeune pianiste, comprend en effet une petite part de folie avec l'appel à un imaginaire débordant qui constitue le principal attrait de ce pianiste. David Fray semble visiblement marqué par Glenn Gould, avec la mystique vouée aux créations du Cantor en moins...

La sublime architecture des trois concertos exécutés (BWV 1055, 1056, 1057) supporte aisément le chemins de traverse, les audaces rythmiques ou harmoniques que peut imaginer le pianiste, œuvrant également à tête de l'orchestre. Ces voies possibles, David Fray ne craint pas d'en créer de toutes sortes, la plupart d'ailleurs n'étant pas absurdes du point de vue rhétorique, même si son imagination débordante peut tendre à nous faire perdre le fil. C'est ce que le reportage de Bruno Monsaingeon traduit de façon très habile, sans aucun commentaire "off", laissant David Fray nous expliquer ses options, sa lecture très personnelle de ces concertos, tant lors de la préparation de ces derniers chez lui, que lors de répétitions filmées.

Je suis d'ailleurs pour ma part tout à fait persuadé que l'on devrait bien plus filmer certaines répétitions car elles apportent un éclairage indéniable sur une interprétation.

Swing, sing and think JS Bach David Fray
Il est vraiment amusant, dans le cas présent, de voir comment le jeune pianiste français, en apparence un peu fanfaron, avec ses mimiques impossibles, se fait progressivement respecter par le sérieux et austère ensemble baroque germanique du Deutsche Kammerhilharmonie de Brême. L'association du jeune pianiste et de cet ensemble se fait par tension et opposition, pour aboutir à une version de trois des sept concertos de JS Bach particulièrement tonique. La singularité de cette interprétation repose indéniablement sur la vélocité et l'intensité émotionnelle du jeu de David Fray, sur ce cocktail apportant une énergie et une tension rythmique constante, tout en conservant un caractère charmeur et fantasque. Le tarbais David Fray est résolument un jeune homme du sud, qui tente de faire assimiler aux excellents baroqueux allemands qui l'accompagnent le caractère italien de ces concertos. Son but est alors d'accentuer les contrastes, caler chaque mouvement sur une rythmique tendue avec précision, recherchant plus une forme de lyrisme, d'ampleur dans l'accompagnement orchestral que de précision métronomique. C'est justement à mon avis tout ce qui oppose David Fray et Hélène Grimaud dans leurs enregistrements respectifs : il ne craint pas la recherche d'une forme de rubato, son piano est comme une voix, avec ses travers, ses humeurs, la traduction des émotions associées à la multiplicité des climats que restituent ces concertos, alors qu'avec sa compatriote française, pourtant capable d'audaces technique bien supérieures, JS Bach est débité d'une façon bien plus monotone et linéaire et, surtout, très cérébrale.

Je dois avouer toutefois que sur la durée, cette imagination et énergie débordantes ont  un caractère plutôt épuisant. La fébrilité imprimée par David Fray s'avère un peu fatigante après l'écoute des trois concertos. En outre, les options marquées qu'il prend, tant au niveau de l'accentuation de certains contraste dans les phrasés, que du changement de tempo ou de rythme sont, à mon goût, quelquefois discutables. Je reste pour ma part attaché au caractère plus naturel, évident de l'approche esthétique de Murray Perahia sur son intégrale enregistrée en 2001 et 2002 (cf. note du 13 octobre 2006) même si elle peut apparaître comme trop facilement charmeuse ou "aguichante". A titre d'exemple, je trouve qie David Fray en fait de trop sur la "dégustation" note par note de l'ineffable beauté du Larghetto du 4ème concerto en la majeur. Il aboutit au minutage de presque 6'40'' alors que Murray Perahia termine ce mouvement avec près de deux minutes de moins. On peut se montrer contemplatif mais pas au point d'étirer à ce point le tempo !

Au passage, je remercie à nouveau Jean-Dominique Serra de m'avoir permis de faire cette découverte en me prêtant ce DVD.

Lien direct vers le site piano bleu pour plus de précisions sur ce DVD et pour visionner un extrait.

Je vous laisse vous faire vote opinion.

"Swing, Sing & Think" - David Fray enregistre JS Bach - Film de Bruno Monsaingeon - Medici Arts.


Retour à La Une de Logo Paperblog

A propos de l’auteur


Philippe Delaide 1912 partages Voir son profil
Voir son blog

l'auteur n'a pas encore renseigné son compte l'auteur n'a pas encore renseigné son compte