Originale, cette exposition l’est par son thème inédit : une mise en relation de l’œuvre du peintre français et des principaux artistes du mouvement expressionniste abstrait de l’après-guerre, tant aux Etats-Unis qu’en Europe. Exceptionnelle, elle l’est par la qualité des prêts qui ont permis de la mettre en place. Car ce ne sont pas moins d’une cinquantaine de toiles venues de grandes collections publiques et privées, françaises et étrangères, qui ponctuent le parcours (chronologique) de l’exposition, où elles se confrontent habilement – et parfois malicieusement ou bien non sans hardiesse – aux tableaux de Matisse conservés dans la collection permanente du musée (peintures, gouaches découpées et sculptures).
Parmi les quinze artistes représentés, on découvre notamment Jackson Pollock, Mark Rothko, Raymond Hains, Jacques Villeglé, Simon Hantaï, Sam Francis, Claude Viallat, Blinky Palermo et, même, Daniel Buren. On imagine sans peine la somme de travail et la persévérance qu’il fallut aux commissaires pour obtenir l’accord d’établissements aussi prestigieux que la National Gallery de Washington, le Metropolitan Museum de New York, la Fondation Beyeler de Bâle ou la Staatsgalerie de Stuttgart pour le prêt de toiles souvent de très grande taille.
Ce dialogue provoqué entre les œuvres ne cherche pas à rallier Matisse à l’abstraction –
Ce n’est évidemment pas un hasard si le premier contact du visiteur avec Matisse s’organise autour de la Porte-fenêtre à Collioure, une toile de 1914 où le maître tutoie l’abstraction sans toutefois s’y aventurer totalement. Certaines influences apparaissent comme des évidences visuelles. En observant Hors de la toile numéro 7 de Jackson Pollock, il n’est guère difficile d’opérer un rapprochement avec La Danse de Matisse ; on y retrouve la présence de lignes dynamiques, de jeu de courbes, de rythme presque sauvage qui font toute la puissance évocatrice de cette toile emblématique. De même, les gouaches préparatoires de Raymond Hains et Jacques Villeglé pour Pénélope rappellent le graphisme, la technique et la palette même du peintre – notamment ce bleu pur tout à fait particulier que l’on retrouve dans La Lyre (1946) ou La Vague (1952) et que Hains utilisera dans ses collages gouachés, Ellsworth Kelly dans Blanc bleu (1959), Sam Francis et François Rouan dans certaines de leurs compositions qui figurent dans le cadre de l’exposition.
En revanche, d’autres filiations apparaissent avec moins de netteté, notamment chez les peintres européens, à l’exception, sans doute, du travail de la matière. Il est vrai que beaucoup appartiennent à la génération suivante, qui a davantage assimilé l’art de Matisse à travers les démarches de leurs prédécesseurs américains qu’à partir de ses œuvres originales. Les toiles froissées/défroissées de Simon Hantaï invitent ainsi à une inévitable relecture et, face aux œuvres de Daniel Buren, Barnett Newman et de Blinky Palermo, le visiteur s’interrogera sans doute longuement… C’est cependant cette interrogation, cet appel au doute et à la réflexion, cette mise en perspective et cette remise en question des idées reçues qui rendent la visite de Ils ont regardé Matisse captivante pour tout amateur d’art contemporain.
A noter que le catalogue de l’exposition, bilingue, richement illustré et commenté (Ils ont regardé Matisse, sous la direction d’Eric de Chassey, Editions Gourcuff Gradenigo, 264 pages, 39 €), constitue un prolongement utile à cet événement unique.
Illustrations : Henri Matisse, Porte-fenêtre à Collioure, 1914, huile sur toile, Centre Pompidou, Paris - Jackson Pollock Out of the Web Number 7, 1949, huile et émail sur panneau, Staatsgalerie Stuttgart.