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chers lecteurs, je vous prends à témoins de cette déclaration solennelle mais non funeste. D'ailleurs, vous voudrez bien, par l'entremise de la section commentaires, attester que vous êtes majeur et que vous reconnaissez en ce texte ma plume, qu'il n'y a pas usurpation de mon identité et que vous en authentifiez l'origine.
Depuis ma vie adulte, j'ai rempli bien des obligations formelles pour être en règle avec la vie civile : paiement de mes comptes, déclaration de mes dûs envers 2 plutôt qu'un gouvernement, conduite de ma vie en bonne citoyenne. Il y a un truc que je dois faire depuis que j'ai des enfants et que j'ai omis jusqu'à maintenant alors qu'ils sont adultes : être en règle avec la mort. Ou plutôt, faciliter la tâche à mes survivants (c'est donc prétentieux de mettre le possessif "mes" à "survivants", non? Ils ne sont et ne seront pas plus nôtres de par notre passage dans l'autre monde). Depuis une dizaine d'années, je retarde mon notaire pour la production de mon testament, tout comme je retarde mon dentiste pour l'installation d'un implant. Parce que j'ai pas envie d'y penser, et surtout, parce que je n'en ai pas besoin, là.
Un jour, j'ai bien failli mourir. Je ne me souviens plus quel jour ni pourquoi, mais j'ai eu conscience que cela pouvait m'arriver n'importe quand. Je me suis procurée un formulaire de testament chez bureau en gros et l'ai rempli - c'est simple de dire ce qu'on veut, mais il m'y manque encore 2 signatures de témoins pour le rendre valide.
Bref, me voici, partageant avec vous mes dernières volontés. Puisque le cyberespace contient déjà toutes mes informations personnelles, il ne sera nullement difficile de légitimer cet écrit et les croisements le lieront à ma vraie identité, permettant de l'exécuter simplement et facilement. Il sera valide jusqu'à production d'un écrit d'une date ultérieure sous quelque forme qu'elle soit.
Ce que j'aime du web, c'est la simplicité. Je vais juste dicter mes dernières volontés. J'ai pas envie ni besoin de connaître le numéro de mes assurances-vie, le gestionnaire de mes réer, mon créancier hypothécaire, fudge, c'est pas de ça que je veux parler, mais bien, de ce que je souhaite qu'il arrive de moi et du peu qu'il en restera lorsque je quitterai la terre ferme. J'en connais d'un ou ou deux qui contesteront la forme légale de la chose, mais regarde, c'est pas sous seeing privé, c'est pas notarié, mais c'est quand même lu par beaucoup de monde qui me connaissent et ce sera témoigné par plusieurs autres. Faut évoluer, t'sais, les nouveaux paradigmes.
Ok, je me lance. Je teste :
Lorsque je mourrai, auriez-vous l'obligeance de bien vouloir veiller à ce que :
- l'on me croque l'orteil pour bien vérifier que je sois morte;
- l'on donne immédiatement tous mes organes utiles s'il en reste - je veille dorénavant à en prendre bien soin; ils vont peut-être veiller tard...;
- l'on réduise mes restes en fine poudre que l'on garoche au hasard dans un jardin - il en poussera des ronces, des roses ou des carottes, selon la disposition du moment;
- si mon ne funère, l'on me fasse jouer bien fort le Requiem de Mozart - en entier, s'il vous plaît, car c'est divin d'un bout à l'autre; si la foule est pressée, l'on fera jouer plus fort encore The Great Gig in the Sky;
- aucun mausolée ne soit érigé en ma mémoire, je désire ne plus occuper aucun espace public, étant déjà en dette avec la planète depuis ma naissance;
- si on dissèque mon patrimoine, l'on sache que :
- la résidence principale et tout ce qui vient avec : meubles, hypothèque, locataires (oui, oui, eux aussi), soit léguée à mon conjoint l'homme chat (le nom est fictif mais la situation réelle);
- si résidence secondaire il y a, ou autre investissement immobilier, ou business, effectué avec mon conjoint qui aura privé mes fils de mon vivant d'une vie de luxe (chars sports, hi fi dernier cri, piscine creusée, etc.), ma part du biscuit leur soit rendue, en parts égales et sans chicane;
- nonobstant tous lois et règlements, je souhaite que mes réers, assurances-vie, placements et autres liquidités soient le bénéfice de mes deux gentlemen de fils, Gabriel et Thomas (noms réels) à parts égales et sans chicane;
- que ma part du bb chat (la tête ou le cul. ou le ventre aussi, car il en a quand même tout un, avec plein de poils blancs de lapin dessus. ah, et puis les belles pattes gantées de blanc qu'ils croisent comme un aristochat lorsqu'il est assis dans son fauteuil), bref, on laisse faire. Le chat est déjà celui de l'homme chat, rien à léguer à ce chapitre. Que ma part dans la bouffe à chat lui soit transmise afin que jamais il ne meure de faim.
- que ma collection de cd et toute ma bibliothèque (si mes livres ont résisté à l'eau du garage cet hiver, on saura bientôt) soient léguées à mes 2 fils à parts égales, car la culture, comme le voyage, nous font grandir lors de notre vivant.
- bon, je pense qu'il ne reste plus rien à part ça.
Dans le fond, une vie, on règle ça de même, c'est simple non? Le gros du leg est non matériel, j'espère sinon, c'est un peu nihiliste de se rendre compte que c'est réglé comme ça après 40, 70, 90 années de vie? Bof, je reviendrai vous hanter, j'ai pas peur!
Je crois que ça prend un exécuteur testamentaire : je sais pas, je dirais ma copine Iz, si elle me survit, sinon ma soeur tiens.
Ok, là, c'est la partie sérieuse du propos, merci de bien vouloir contribuer à cet ouvrage en inscrivant un commentaire et j'imprime le tout incessamment pour le ranger quelque part, pour la postérité. Premier testament en orbite?
De la photo : Christina's World, par Andrew Wyeth est une peinture qui me fascine depuis mon adolescence. C'est la première image à laquelle m'a fait penser la mort. Je la vois ainsi : lointaine, inconnue, mais calme, tranquille. Ayant peur d'avoir peur, j'ai également une légère confiance en la mort, autant qu'en la vie, le juste retour des choses. Mais je crois sincèrement que je repousserai sur terre sous la forme d'une fleur de pavot jaune dans un champ de fleurs de pavot jaunes.