Son nom est « familier à plus de monde que celui de Jésus-Christ ». C’est lui qui le dit. Aux Etats-Unis, quand la légende est plus belle que la réalité, on imprime la légende. Et Walt Disney ne s’est pas privé de fabriquer la sienne, lui, la parfaite incarnation du rêve américain, aimant se présenter jusqu’à la fin de sa vie comme un « garçon de la campagne, qui se cache derrière une souris et un canard ».
Le roman-biographie de Peter Stephan Jungk, consacré au personnage, a beau jeu de mesurer, non sans une inévitable cruauté, l’écart entre l’homme et le mythe. On y découvre un Walt Disney vieillissant, presque anachronique dans les années 60, aussi raciste que généreux, réac et visionnaire, tour à tour Peter Pan et grand méchant loup. Un roi de l’ambivalence, père de Mickey, qu’il n’a jamais dessiné, et qui eut surtout le génie d’exploiter celui des autres. Un mégalomane qui rêvait d’immortalité, jusqu’à former des projets de cryogénie, dans l’espoir d’être ramené à la vie un jour. Mais n’est pas Jésus-Christ qui veut. Walt Disney échoua en son ultime projet.
Dans une confusion assumée entre documentaire et fiction, P.S. Jungk dévoile les secrets de la magie Disney. L’histoire est racontée par Wilhelm Dantine, un ancien dessinateur de La belle au bois dormant, qui ne s’est jamais remis de son licenciement. Par une enquête obsessionnelle et sophistiquée, il traque Walt Disney jusqu’au moindre détail, jusqu’à la moindre de ses pensées, avec une maniaquerie fascinée. Aucun lieu ni aucune date ne nous sont épargnés – une méticulosité parfois harassante. Un seul objectif : dégager la personne de la gangue du personnage et placer Walt face à lui-même.
Ce choix narratif aurait pu déboucher sur une diatribe féroce. Il n’en est rien. Les cadavres sont un à un sortis des placards. Et pourtant Dantine ne réussit pas à trouver Walt Disney totalement antipathique. Malgré l’issue fatale - un cancer du poumon incurable qui l’emporte en quelques semaines - Walt Disney reste celui qui aurait aimé enchanter sa réalité autant que les imaginaires. Il aura tenté, si ce n’est réussi, à créer l’illusion jusqu’au bout – au moins à ses propres yeux.
Le roman sera adapté à l’opéra par le compositeur Philip Glass, sous le titre : « A perfect american ». Il devrait ouvrir la saison 2012-2013 du New York City Opera.
Le roi de l’Amérique
de Peter Stephan Jungk
traduit de l’allemand par Johannes Honigmann
Editions Jacqueline Chambon, 2009
Article paru dans Sitartmag