(dépêche)
Paris reçoit les beautés des monastères du très fermé mont
Athos
LE MONDE | 24.04.09 | 19h09 • Mis à jour le 24.04.09 | 20h12
Certaines icônes ont un regard attendu, rituel dans la douleur ou l'extase. D'autres ont l'oeil plus
difficile à déchiffrer. Elles sont à voir, jusqu'au 5 juillet, au Musée du Petit Palais, à Paris, qui a obtenu des prêts uniques et exceptionnels, puisqu'ils viennent des vingt monastères du mont
Athos.
Le mont Athos est l'un des sommets les plus élevés de la Grèce, culminant à 2 033 mètres. C'est une "sainte montagne", la plus orientale des trois presqu'îles qui terminent la péninsule de la
Chalcidique, au sud-est de Thessalonique. Sur ce doigt tendu vers la Turquie, qui recèle quelques souvenirs antiques, mais que la piraterie videra de presque toute présence entre le Ve et le IXe
siècle, vont venir ensuite se réfugier pour mieux s'isoler quelques ermites solitaires orthodoxes, puis seront érigés des monastères sévèrement hiérarchisés.
Premier principe : le mont Athos est fermé aux femmes. Deuxième principe : pèlerins et scientifiques ne sont reçus qu'après avoir obtenu une autorisation qui n'a rien de la facilité d'un visa
touristique.
La presqu'île était jadis séparée de la Grèce par le canal de Xerxès, comblé depuis, mais qui figure encore sur le plan-relief présenté au Petit Palais, renforçant le sentiment d'isolement des
vingt monastères où sont regroupées les communautés religieuses dites cénobitiques et d'un nombre indéterminé d'ascètes, totalement isolés.
On compte sur le mont Athos entre 1 000 et 2 000 moines, contre 7 000 en 1903, mais leur nombre serait à nouveau en augmentation. Ils vivent en perpétuelle prière, reclus toute la sainte semaine
dans leurs cellules, mais se retrouvant pour ce qu'on appelle ailleurs le week-end.
Quelques grandes photographies de Ferrante Ferranti permettent une approche émouvante du site et de la vie des moines sous les voûtes fatiguées des monastères. Raphaëlle Ziadé, qui a assuré le
commissariat côté français avec Mandy Koliou comme partenaire hellénique, aide à comprendre les termes innombrables qui rendent difficile (sur les cartels comme dans le catalogue) la
compréhension de l'univers et de la liturgie orthodoxes.
Elle met aussi en garde contre quelques erreurs fréquentes : le public confond parfois le mont Athos avec les monastères des Météores, situés au nord de la Grèce, dans la plaine de Thessalie, et
dont les images vertigineuses ont, de fait, beaucoup circulé. Au mont Athos, les moines sont arrivés alors que se terminait la période de l'iconoclasme byzantin par décision de l'impératrice
Théodora, qui rétablissait ainsi dans ses droits l'hommage rendu aux figures de Dieu et des hommes.
La commissaire Raphaëlle Ziadé tempère l'idée barbare que l'on se fait de tout destructeur d'image : les iconoclastes n'étaient pas mus par une quelconque sauvagerie, mais par un refus sincère de
l'idolâtrie. Il n'empêche : la beauté des oeuvres présentées - icônes, documents, livres, reliures, objets liturgiques, menuiseries - fait surgir une très douce humanité de la rigueur des
Athonites.
On pense, notamment, à ces fragments de fresques, comme le visage du prophète Ezéchiel, tout droit venu du monastère du Christ Pantocrator, chevelu et barbu à souhait, qui nous regarde avec un
curieux mélange de bonté et de scepticisme.
Autre vestige, un peu plus ancien, le portrait de saint Athanase l'Athonite - autrement dit du mont Athos, pour le distinguer d'autres grands homonymes -, personnage central de cette exposition,
qui mourut en l'an 1000. Il est devenu ermite, lorsqu'en 963, Nicephore Phocas devint empereur et le chargea de construire le monastère de la Grande Laure, le plus grand et le premier des
monastères de la péninsule.
Saint Athanase est un homme au cheveu rare, au regard volontaire, qui continuera de construire avant de mourir dans l'effondrement d'une coupole, digne fin d'un saint architecte. Sa figure,
sobrement évoquée, est magnifiée par une impressionnante série de chrysobulles (l'équivalent pour les empereurs byzantins de la bulle papale), qui assurent paix et protection à cette enclave
religieuse, puis fixent les règles laïques de cette secrète république où l'ascétisme des moines côtoie étrangement la richesse de l'Eglise.
Exposition d'art et d'histoire, exposition sur la vie religieuse comme sur la protection politique que lui apportait Byzance, "Le mont Athos et l'Empire byzantin" a peu à voir avec l'étalage d'or
que laissent craindre certaines présentations d'icônes. Trésor il y a, mais il ne prend son sens qu'après la découverte géographique de cette "sainte montagne".
Rappelons que le Petit Palais présente, d'autre part, en permanence un rare ensemble d'icônes du monde byzantin. La Sainte Chapelle du château de Vincennes, dont la restauration vient d'être
terminée, exposera du 13 mai au 20 août, quatre-vingts icônes prêtées par les musées nationaux de Bulgarie. Encore une première pour la plupart de ces oeuvres.
"Le mont Athos et l'Empire byzantin, trésors de la Sainte Montagne",
Musée du Petit Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e. Mo Champs-Elysées-Clemenceau. Tél. : 01-53-43-40-00. Ouvert tous les jours de 10 heures
à 18 heures sauf lundi et jours fériés.
Nocturne le jeudi jusqu'à 20 heures.
De 4,50 € à 9 €. Jusqu'au 5 juillet.
Catalogue : 318 p., 49 €.
Frédéric Edelmann
Article paru dans l'édition du 25.04.09