Le grand-père (le seul à ne pas feindre d'être heureux) est muet comme une carpe, mais a sans doute beaucoup à dire à force d'emmagasiner ce qu'il a sur le coeur. La mamie s'agit dans tous les sens, comme bien d'autres grand-mères, et masque évidemment son chagrin derrière la nourriture et les anecdotes. Et tout le monde ou presque fait un effort pour tenter de passer de bons moments en famille, autour de repas démesurés et délicieux (Kore-Eda filme la bouffe, la façon de la préparer et la façon de la manger comme à peu près personne). Tel est le miracle de Still walking : nous faire passer deux heures à table mais sans avoir le droit de manger, entourés par des personnages pas forcément bavards ou n'échangeant rien de plus que quelques banalités.
Mais les apparences sont trompeuses : si l'on connaît dès le début la nature du deuil (la mort d'un frère par noyade, il y a tout de même quinze ans), une ombre semble planer sur la famille, comme une chape de plomb. Non, pas de révélation croustillante ou désarçonnante en perspective. Juste une modification patiente et chirurgicale du regard porté sur les membres de la famille, qui en quelques dialogues changeraient presque de visage. Ce film pratiquant la politesse du désespoir atteint alors quelques sommets de cruauté, même si l'ensemble ne vire jamais au jeu de massacre. C'est beau, c'est fort, et ça serait sans doute un grand film si Kore-Eda se lâchait un peu plus, s'il oubliait rien qu'une seconde son statut de cinéaste de la dignité, et qu'il daignait pleurer avec ses personnages ce frère trop tôt disparu. S'il n'atteint pas le niveau d'émotion de Nobody knows, Still walking est tout de même une oeuvre forte et vraiment pleine de style.
7/10
(également publié sur Écran Large)
(autre critique sur Sur la route du cinéma)