« Oh, mais ce pays est de toute beauté ! Et les gens y sont d'une gentillesse et d'un accueil ! C'est merveilleux ! Je n'ai presque pas vu de militaires. Les Birmans on l'air tellement détendus
qu'il est difficile d'imaginer que ce pays vit sous une dictature si brutale. En tous cas, moi je n'ai rien remarqué. Et puis, comme le pays est préservé ! On dirait que le temps s'y est arrêté ;
un véritable voyage dans le temps ! »
Touristine
Voilà précisément le genre de remarques que vous ne m'entendrez pas faire. Non pas que les paysages soient ingrats et les Birmans exécrables. Le pays est splendide, et ses habitants vraiment très agréables dans l'ensemble. Ceci-dit, j'aimerais ne pas oublier que le circuit
touristique par lequel tout touriste passe est une boucle toute belle toute propre élaborée par le gouvernement, faite pour générer le genre d'idées citées plus haut. C'est pourquoi il m'est
difficile de parler de la Birmanie comme je l'ai vraiment vécue, c'est-à-dire de façon positive.
J'aimerais tout d'abord revenir sur le débat concernant le boycott du tourisme. Après ces deux semaines passées en Birmanie en tant que touriste, certaines choses se sont éclairées, mais mon
jugement sur la question n'en est pas pour autant plus tranché. Comme j'en ai parlé dans mon premier post,
j'étais plutôt réticente à l'idée de passer des vacances dans un pays où des villages entiers sont systématiquement rasés, brûlés, des femmes, hommes, et enfants massacrés, torturés, où les
droits humains sont régulièrement bafoués, où la liberté d'expression est réduite à néant.
Il faut savoir qu'il est impossible de ne pas verser d'argent à la junte militaire, directement ou indirectement. Les avions et les trains, ainsi que les droits d'entrée sur les sites
touristiques sont contrôlés par le gouvernement. Certains hôtels et tour operator (Myanmar Travel & Tours), et guides touristiques également. A commencer par les visas, les touristes ne
peuvent y échapper, donc sachez-le avant de partir. Ceci-dit, il est possible de réduire les dégâts. En faisant bien attention aux choix des ‘guesthouses', en employant des guides privés, en
mangeant dans des restaurants familiaux, en achetant l'artisanat directement aux artisans, il est possible de reverser la plupart du budget directement aux particuliers. L'industrie touristique
ne représente qu'un petit pourcentage des revenus de la junte, loin derrière les ressources naturelles (pétrole, pierres précieuses, bois, etc.)...
Beaucoup de sites touristiques ont eut recours aux travaux forcés pour la construction d'infrastructures, donc dans la mesure du possible, il est préférable de privilégier les treks nature. Mais
encore une fois, il est difficile de boycoter des infrastructures...
En matière de rapports humains, je suis maintenant convaincue qu'un boycott total du tourisme serait néfaste. Je n'avance pas que les touristes « éclairent » les Birmans sur le concept de
démocratie, ni qu'ils apportent des clés pour faire chuter le régime. Je dirai plutôt que tout contact venant de l'autre est enrichissant. Ces contacts m'ont énormément apporté, à moi, touriste.
Et ce, même si la communication reste limitée à cause de la dictature, et parfois à cause de la langue (les Birmans parlent bien l'anglais). J'ai pu partager un bout de vie des gens dans les
villages des montagnes (pendant un trek sur trois jours avec nuits et repas chez l'habitant), j'ai pu aussi partager beaucoup uniquement par le regard. C'est incroyable à quel point le regard des
gens est expressif. Peut être ce langage muet s'est-il développé à cause du carcan qui enferme les langues ?
Il ne s'agit pas de critiquer ouvertement le régime à tout va avec les Birmans (ce serait les mettre en danger eux, plus que soi-même), mais de parler de son pays, de ce qu'on y fait, de son
travail, de ses loisirs, de sa famille, de ses amis. Une conversation banale en soi, mais qui peut être enrichissante dans les deux sens.
Pendant toute la durée du séjour, je me suis sentie complice du régime malgré moi. Le fait que des étrangers visitent le pays pour motifs touristiques légitime et normalise en quelques sortes le
régime. Et j'avais l'impression d'être perçue de cette manière par certaines personnes.
A la question : faut-il ou non aller au Myanmar ? , ma réponse n'est pas totalement tranchée, mais je pencherai en faveur du 'oui' (eh oui! J'y suis allée !). Si vous décidez d'y aller, alors je
me permets de vous donner quelques petits conseils. Essayez de voir à travers le filtre érigé par le gouvernement. Essayez de faire partager vos impressions en rentrant. Ne vous focalisez
pas sur la beauté des paysages et la gentillesse des Birmans, car c'est bien trop réducteur, et c'est en quelques sortes nier la douleur et l'horreur que subit une grande partie de la
population.
Le pays est déjà tellement isolé que ce qui vient de l'extérieur est généralement bienvenu. Pensez à emmener des magazines, des journaux, des livres à donner sur place. Des shampoings, savons,
crèmes et autres produits de beauté nous ont été demandés très fréquemment. Au-delà des produits pratiques, c'est surtout les flux d'information qui sont facilités par les touristes. Plus il y
aura de touristes, plus l'accès Internet et les appels à l'international seront facilités (à l'heure actuelle, Hotmail et Yahoo sont bloqués par le gouvernement, ainsi que de nombreux sites web,
appeler vers l'étranger relève d'un véritable challenge et coûte une fortune).
Voilà pour l'épilogue. Pas très marrant comme récit de voyage j'avoue :)
Mais c'était important pour moi de faire ce petit épilogue. Juste pour partager ce qui ne transparaitra peut être pas dans mes autres articles.
En attendant la suite, vous pouvez jeter un coup d'œil à l'album photo sur la droite --->