En balayant d’un seul coup d’œil 50 ou 60 ans d’histoire de l’aviation, il peut arriver que les idées se bousculent de maničre curieuse. D’un côté, l’importance des avancées technologiques donne le vertige, de l’autre une impression de lenteur, d’arręt sur image, apparaît ici et lŕ.
Pourquoi ? Sans doute parce que la longévité de certains appareils atteint des niveaux insoupçonnés ŕ leur origine, soit qu’ils soient particuličrement robustes, pas encore dépassés trčs longtemps aprčs leur entrée en service. Ou encore parce que d’incontournables contraintes budgétaires, omniprésentes, empęchent de financer des matériels dits de nouvelle génération.
Nous voici confrontés aux infinies curiosités du monde de l’aviation. Ainsi, les premičres études relatives ŕ un avion de transport supersonique ont été entreprises une cinquantaine d’années seulement aprčs les premiers décollages motorisés des frčres Wright. Impressionnant ! En revanche, aujourd’hui, Concorde étant au musée, le temps de vol jusqu’ŕ New York est le męme qu’en 1955.
Les militaires, malgré des maničres de faire que beaucoup jugent dispendieuses, sont champions en matičre de tels paradoxes, ŕ moins qu’il ne s’agisse de pures contradictions. Ainsi, du F-22 au Rafale, les systčmes d’armes les plus modernes affichent des performances impressionnantes mais tendent ŕ se fracasser contre le mur de la finance. D’autres, comme s’ils bénéficiaient discrčtement de bains de Jouvence classés secret Défense, semblent éternels.
L’exemple classique, sans cesse rabâché mais toujours remarquable, est celui du bombardier stratégique Boeing B-52, toujours pręt ŕ filer vaillamment ŕ 1.000 km/h vers un conflit Ťrégionalť, et dont tout le monde a évidemment oublié qu’il a effectué son premier vol en 1954. Les B-1 et B-2, produits en nombres modestes, n’ont pas vraiment réussi ŕ lui succéder et le retrait de cet ancętre n’est pas pour demain.
Robert Gates, secrétaire d’Etat américain ŕ la Défense, vient d’ailleurs d’indiquer que le Next Generation Bomber, prévu pour 2018, sera trčs probablement retardé. Dans ces conditions, l’imposant Stratofortress (un surnom que plus personne n’utilise) est assuré d’une nouvelle prolongation de carričre qui le conduira ŕ trois quarts de sičcle de bons et loyaux bombardements.
Autre cas exemplaire, moins spectaculaire mais plus proche de nous, le bon vieux C160 Transall franco-allemand qui, un jour, plus tard, cčdera la place ŕ l’A400M. Il a volé en 1963, il y a 46 ans, et le dernier exemplaire quittera l’armée de l’Air et la Luftwaffe aprčs avoir largement franchi le cap du demi-sičcle.
Certains vétérans sont lŕ depuis tellement longtemps, fidčles, discrets, indestructibles, qu’ils passent totalement inaperçus. C’est le cas du Northrop (pardon ! Northrop Grumman) T-38, élégant biplace d’entraînement avancé dont les écoles de pilotage américaines utilisent prčs de 1.200 exemplaires (notre illustration). Le Pentagone vient soudainement de s’en souvenir : ce biréacteur léger a effectué son premier vol en 1956. D’oů la décision, prise dans l’urgence, si l’on ose dire, de préparer un appel d’offres pour un successeur livrable ŕ partir de 2017.
Il y a une cinquantaine d’années, Northrop était une société tout particuličrement intéressante. Dirigées par un Américain charismatique, Thomas V. Jones, ses équipes croyaient déjŕ aux vertus de la mondialisation, entrevoyaient une aviation planétaire faite de bons camarades et, pour commencer, croyaient aux vertus de coopérations transatlantiques bien comprises.
Il ne s’agissait en aucun cas d’établir des relations de maître ŕ vassal mais plutôt de bâtir ensemble, de regarder ensemble dans la męme direction. Le T-38 avait donné naissance ŕ une version de combat, N-156F Freedom Fighter, largement exportée sur des bases davantage géopolitiques qu’opérationnelles et commerciales. Tom Jones avait ainsi amélioré sa culture internationale et imaginé un chasseur américano-européen, baptisé Cobra. L’idée, pourtant sympathique, ne devint jamais réalité.
Le projet Cobra avait pour lui les accents de la sincérité et, sur le plan des principes, offrait plus et mieux que l’ambitieux Joint Strike Fighter d’aujourd’hui, pur produit de l’Amérique conquérante, auquel participent des Européens avec un statut qui est tout sauf égalitaire.
En d’autres termes, certains avions sont éternels. Et les bonnes idées ne le sont pas.
Pierre Sparaco - AeroMorning