La petite fille fluette poursuit dans la cour de l’école un garçon blond qui, dès qu’il l’aperçoit, prend la poudre d’escampette pour rejoindre ses copains qui jouent au ballon.
La fillette s’assoit et avec ses copines regarde la partie. Elles sourient, se chuchotent des choses à l’oreille. De temps en temps, l’une d’entre elles appelle le garçon qui se garde bien de venir entendre ces secrets de Polichinelle. Alors, un de ses camarades s’y colle : il arrive nonchalamment, et entouré par les fillettes, après mille et une messes basses, il s’écrie :
- Julie est amoureuse de Mathieu ! Julie est amoureuse de Mathieu !
Le blondinet devient tout rouge, il fait comme si de rien n’était, tandis que ses copains reprennent en cœur :
- Ils vont faire l’amour, ils vont faire l’amour !
Une fillette haute comme trois pommes avec de petites nattes blondes, se faisant l’émissaire de l’Amour décide d’aller voir Mathieu. Elle ne le regarde pas dans les yeux, ses pieds esquissent sur le sol des ronds minuscules, et ses lèvres murmurent :
- Et toi t’es amoureux de qui ?
Le gaillard se détourne et va se perdre dans la cohue de la cour.
Plus loin, assise sur une balançoire, une petite fille aux cheveux courts se laisse pousser par un plus grand à la peau d’ébène, qui, parfois, lui enserre la taille et pose sa tête contre son cou. Puis, à son tour, il s’assoit sur une autre balançoire, ils se prennent la main et leurs mains réunies se mélangent à l’image du jour et de la nuit. Tous deux se laissent bercer, rêveurs, par la caresse des alizés.
Ils regardent un petit brun qui poursuit une grande rousse et qui, quand il l’atteint, l’énerve, la chamaille, la pousse… La fillette se débat, lui mord le bras : le garçon se met à pleurer, il va se plaindre au surveillant, l’instant d’après ils recommencent la bagarre.
Le surveillant est entouré d’un essaim de petites abeilles, qui zézayent autour de lui :
- Est-ce que t’as une fiancée toi ?
-Tu sais, j’ai vu que tu rougis à chaque fois que tu fais l’appel avec Andréa.
-Ben moi d’abord mon amoureux eh bien, il a treize ans !
Le surveillant répond complaisamment, en souriant, et il
contemple de loin ce tableau étrange, cette nuée de petits êtres, qui dans la cour tissent chacun à sa manière les prémices de leurs amours.