Tout le monde connaît la marque Chanel, à travers ses défilés de mode prestigieux et ses publicités très glamour pour des parfums mythiques. Tout le monde connaît également au moins « Coco », le surnom de sa fondatrice Gabrielle Chanel. Mais peu de gens se souviennent de sa brillante destinée et de ce qu’elle a apporté à la mode féminine, à une époque où les tenues vestimentaires n’étaient que frous-frous, corsets et chapeaux surchargés de plumes.
Cela va changer puisque, après avoir été bizarrement ignorée par le cinéma, son histoire a fait l’objet de deux films concurrents. Le premier, Coco Chanel & Igor Stravinsky, réalisé par Jan Kounen avec Anna Mouglalis dans le rôle principal, fera la clôture du 62ème festival de Cannes. Le second, Coco avant Chanel, qui met en vedette Audrey Tautou dans le rôle-titre, vient de sortir en salles, et c’est à lui que nous allons nous intéresser aujourd’hui.
Anne Fontaine a signé une biographie très classique et linéaire du personnage. Elle met en regard le parcours tortueux de Gabrielle Chanel pour s’élever socialement dans une société dominée par la gent masculine et le côté révolutionnaire, anticonformiste de ses créations.
Le scénario commence par un abandon. A la mort de sa femme, le père de Gabrielle la confie à un orphelinat, et part faire fortune aux Etats-Unis. Il ne reviendra jamais la chercher.
Pour gagner sa vie, la jeune femme travaille le jour dans un atelier de couture et la nuit comme chanteuse dans un cabaret. C’est là qu’elle glanera son surnom, « Coco », en référence à une chanson qu’elle chantait fréquemment « Qui qu'a vu Coco sur le trocadéro ? ». C’est là également qu’elle va rencontrer Etienne Balsan, un riche gentleman, propriétaire d’un haras près de Compiègne. Elle part s’installer chez lui et s’initie aux mœurs de la haute société. Mais la vie de château l’ennuie très vite. Elle se sent décalée par rapport à toutes ces femmes mondaines superficielles, aux vêtements trop serrés, surchargés d’ornements ridicules. Pire, elle ne se sent pas aimée. Balsan est un coureur de jupons qui a tendance à considérer les femmes comme ses jouets. Il a tendance à la délaisser au profit de poules de luxe, actrices ou bourgeoises délurées. Il est cependant difficile de quitter la vie confortable que lui offre Balsan. La seule solution serait de trouver un travail qui lui permette de s’assumer seule. Mais lequel ? Il y aurait bien la confection de chapeaux, un art dans lequel elle montre un talent certain et qui lui a déjà valu des commandes de la part d’amies de Balsan, admiratives de ses créations. Mais créer sa propre échoppe coûte cher, trop cher pour Coco, qui ne vit que de la générosité de son amant. Et celui-ci, qui juge grotesques les tenues vestimentaires de la jeune femme, n’irait jamais financer une entreprise aussi incongrue qui risquerait de surcroît de donner de l’autonomie à sa protégée.
Tout change lorsque Coco rencontre Arthur Capel, dit « Boy », un businessman anglais en affaires avec Balsan. Il n’est pas insensible au charme de la jeune femme et admire même l’élégance et la simplicité de ses tenues. Pour la première fois de sa vie, Gabrielle est amoureuse et profite à fond des moments partagés avec le jeune britannique. C’est lui qui va la pousser à créer sa propre enseigne, à tracer sa propre voie, finançant même la mise en place de la boutique et les matériaux pour les premières commandes… Mais le bonheur est de courte durée…
Le film s’est ouvert par un abandon, il se clôt par une déchirure, une perte inconsolable. C’est à partir de ce moment que Coco s’est plongée dans le travail et a laissé s’exprimer sa créativité, façon de combler le vide et d’oublier sa peine. Elle a ainsi créé les modèles de robes, de vestes, de chapeaux qui ont fait sa gloire et qui ont permis l’essor de la maison Chanel…
Le plus intéressant, dans ce destin hors du commun, c’est le côté très avant-gardiste du personnage, féministe avant l’heure. Gabrielle Chanel a passé sa jeunesse à lutter pour trouver sa place dans un monde fait par et pour les hommes. Elle a su imposer sa différence, son propre style et s’affranchir, non sans une certaine impertinence, de son statut de femme-objet pour devenir une femme d’affaires avisée et redoutée.
Elle a contribué, à sa manière, à la libération de la femme. Déjà au sens propre du terme, puisque ses créations ont envoyé les corsets directement aux oubliettes. Et peu de dames se sont plaintes de l’abandon de ces armatures étouffantes… Puis au sens figuré, en prouvant qu’elle était l’égal de bien des hommes, et en vivant une vie très libre, maîtresse de son propre destin.
Dommage, alors, que le portrait dressé par Anne Fontaine paraisse aussi sage, aussi lisse. Oh, on ne peut pas lui reprocher grand-chose au niveau technique : La mise en scène est sobre et fluide, la reconstitution est soignée, sublimée par la belle photo de Christophe Beaucarne et les plages musicales aériennes d’Alexandre Desplats. Il manque juste un petit supplément d’âme qui transformerait cet élégant biopic en grand film.
L’émotion passe quand même, par intermittence, grâce au jeu des acteurs, tous parfaits.
Dans le rôle d’Etienne Balsan, Benoît Poelvoorde a su trouver l’équilibre entre sa nature fantasque et une certaine intensité dramatique. Il trouve ici l’un de ses meilleurs rôles. Son rival, Boy Capel, prend les traits du séduisant Alessandro Nivola, dont la sobriété s’avère très complémentaire du jeu plus expansif de Poelvoorde.
Les actrices sont également impeccables : On sent qu’Emmanuelle Devos s’est bien amusée à jouer les mondaines vaguement provocatrices et Marie Gillain affiche une belle complicité avec Audrey Tautou.
C’est cette dernière qui domine le film de la tête et des épaules (elle n’est pourtant pas bien grande, la délicieuse Audrey). Avec beaucoup de naturel, la jeune actrice s’est glissée dans la peau de Gabrielle Chanel et a su restituer la flamme qui animait la couturière, son envie de faire changer les mentalités, de bousculer l’ordre établi, mais aussi ses blessures secrètes et la solitude dans laquelle elle s’est parfois enfermée malgré elle. Audrey Tautou n’a pas besoin de tics, de démarche ou d’astuces vocales pour représenter Mademoiselle Coco. Il lui suffit de jouer sur l’intensité de son regard pour exprimer les sentiments de son personnage.
Grâce à la qualité de ses interprètes et au soin apporté à la mise en scène et à la reconstitution, Coco avant Chanel est donc une biographie très agréable à suivre. On lui reprochera juste son côté un peu trop conventionnel, trop respectueux des codes du biopic. Un comble pour un film sur une femme justement anticonformiste ! Mais ne boudons pas notre plaisir, le film d’Anne Fontaine, aux coutures solides et brodé main avec un certain talent, est assurément de la belle ouvrage…
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