Une connaissance travaillant dans le secteur de la menuiserie m’a remis copie d’une offre qui est tombée sur son télécopieur. Il s’agit d’une publicité d’Europower-man, une mystérieuse agence roumaine d’intérimaires basée à Miercurea-Ciuc qui, manifestement, essaye de placer des travailleurs du bâtiment en Suisse.
Mon interlocuteur flaire le dumping salarial et me confie le document comme s’il s’agissait d’une pièce à conviction de la première importance. Je n’en sais absolument rien, mais vu le côté ringard de la typographie et le tampon très officiel, mais sentant bon le faux, de la télécopie qui semble provenir de France, je prends ses soupçons au sérieux.
Que l’on soit bien clair, ses soupçons, et ceux qu’il a déclenchés en moi, pèsent sur une société qui pourrait bien employer des travailleurs roumains pour pas cher – euphémisme – et se faire ainsi des thunes sur leur dos, tout en permettant à des entreprises suisses de frôler ou de d’outrepasser les limites.
Pour en avoir le cœur net, je téléphone à un certain M. Tison qui figure comme contact sur le document et que l’on peut joindre à un numéro français ou roumain. Le numéro français me met en contact avec un répondeur qui me suggère d’appeler le numéro roumain. Ce que je fais dans la seconde.
M. Tison me répond et m’explique que son entreprise de travail temporaire est active en France – 1750 salariés, dame ! – en Allemagne et en Belgique. Elle serait sur le point de débarquer sur le marché suisse. Ce n’est plus qu’une question de temps pour obtenir les autorisations. Le monsieur a l’air bien comme il faut et s’exprime dans un français parfait. Manifestement il n’a pas de secrétaire et oscille entre la France et la Roumanie. Une rapide recherche me montre que l’on ne trouve pratiquement pas trace de cette société sur Internet, hormis quelques pages roumaines, un forum où un internaute conseille d’éviter l’entreprise et un article de il caffè.
Pour terminer ma petite enquête, je lui annonce que j’aurai besoin de deux menuisiers pour une quinzaine de jours afin de rénover un chalet (ouh ! le menteur) et m’enquiers du tarif horaire qu’il me facturera. Il m’annonce qu’il est de 19,85 €, soit 30 francs suisses, mais qu’il peut évoluer en fonction des discussions avec les autorités. Il ajoute que ma demande tombe bien, car il recrute dans les Carpates, une région très boisée dans laquelle on compte beaucoup de travailleurs du bois et me demande de le rappeler dans une semaine.
Ni une, ni deux, pour avoir une idée de la validité de ces tarifs, j’appelle Manpower. Mon interlocuteur me donne sans aucun problème les tarifs en vigueur pour un menuisier : c’est aux environs de 50 francs de l’heure, selon l’expérience, et le travailleur touche environ 35 francs. Une règle de trois permet d’en déduire que, chez Europower-man, le travailleur doit toucher au maximum 20 francs de l’heure. Le monsieur de Manpower me confirme que ça sent le dumping et je lui donne volontiers les coordonnées complètes de la société roumaine. Ce probable dumping salarial semble avéré si l’on se réfère aux salaires conventionnels qui oscillent entre 26,05 francs pour un professionnel sans CFC ayant plus de trois ans d’expérience et 28,30 francs pour un professionnel avec CFC ayant plus de deux ans d’expérience.
Voilà une modeste information que le SECO devrait apprécier à sa juste valeur lui qui vient de publier aujourd’hui même un communiqué de presse intitulé «Mesures d’accompagnement : davantage de contrôles, salaires en vigueur majoritairement respectés».
L’Europe des travailleurs, oui ! L’Europe des esclavagistes, non !