"Fais attentiiiiiiiiiiiiion! C'est un livre!"
"Donnez un livre à un bébé??? Ben voyons donc! C'est inutile!"
"Ahh non! Pas cela! Ce n'est pas un VRAI livre!"
"Tu ne peux pas prendre ce livre, tu as 5 ans et c'est écrit pour les 6 ans et plus!"
"Pourquoi tu regardes ce livre, c'est pour les bébés! C'est un imagier pour les 3 ans et toi, tu en as 5 ans!"
"Tiens ton livre comme il faut!"
"Ne joue pas avec ton livre!"
"N'écris pas dans ton livre!"
"Un livre avec des pages minces?? Jamais. Junior n'a que 4 ans. Il va l'endommager!"
"As-tu lavé tes mains avant de toucher à mon livre?"
"Touche pas! C'est une librairie ici!"
"Arrête de t'exciter et lis donc pour te calmer!"
"T'as sauté des pages? Ben voyons, ça ne se fait pas!"
"Tu ne sais même pas encore lire. On achètera un livre l'année prochaine!"
"Quoi? Un livre sur Flash McQueen? Ah non! Pas encore Caillou! Je ne veux pas que tu aimes ces livres-là!"
"10$ pour un livre d'histoires! Pffft! Trop cher! Tu veux un jeu pour la Wii à la place?"
"De ce côté-ci, c'est les bons livres. Là, c'est les mauvais!"
"Pourquoi tu veux prendre ce gros livre, tu ne comprendras rien!"
"Jamais je ne t'achèterai un livre comme cela. C'est ben trop niaiseux!"
*** J'ai déjà entendu toutes phrases au détour d'un rayon d'une des bibliothèques de notre "grande ville fusionnée", dans une librairie achalandée, dans une vente de garage ou dans un grand magasin. Désolant. Franchement désolant. De quoi décourager n'importe quel enfant d'aimer la lecture et d'y trouver du plaisir...
En cette journée mondiale du livre et du droit d'aueur, je déclare haut et fort que les livres ne sont pas précieux. À moins de tenir entre ses mains l'exemplaire de ****. Ce qui est précieux, c'est ce qu'ils provoquent. Et cela, c'est bien caché à l'intérieur. Dans les illustrations. Dans le texte. Et surtout entre tout cela sur le mince fil tissé à partir de l'histoire jusqu'au moteur de l'imagination de l'enfant. La vraie richesse des livres est là. Les livres font naître l'imagination. Et selon moi, l'imagination est plus importante que la connaissance. Car l'imagination, elle, a le pouvoir magique de rendre heureux. Elle est le meilleur vaccin contre l'ennui. La meilleure antidote à la morosité. Le plus efficace levier pour les apprentissages. La meilleure assurance bonheur.
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Il est temps de désacraliser les livres. De les rendre accessibles aux enfants. De ne pas les sommer de mille interdits et de mille précautions exagérés. Il faut arrêter de les catégoriser, de les séparer en bons et mauvais livres, de les réglementer et de les diviser en tranches d'âge gênantes. Franchement on veut quoi? Si c'est écrit gros comme cela sur un livre "Pour les 5 à 7 ans", il y a de forts risques qu'un enfant de 8 ans ne veuille pas le lire de peur de passer pour un bébé ou un mauvais lecteur! Du coup, il boude son plaisir de lire et on l'assome de complexes du genre "Quitte à me faire passer pour un bébé, j'aime mieux ne pas lire! C'est pas pour moi!". Erreur. Lire, c'est pour tout le monde. Dès le sein ou le biberon. À chacun de trouver les livres qu'ils aiment. Tant mieux si la grande rencontre avec THE livre qui nous fera découvrir le réel plaisir se produit tôt dans notre vie. On pourra donc savourer ces délicieux moments de lecture tout au long de notre vie. Il n'y a pas un enfant trop petit pour ne pas pouvoir jouer avec un livre. Et il n'y a pas d'adulte trop grand pour ne pas commencer à lire.
Oui, un bébé peut recevoir des livres. Bien sûr qu'il va le mettre dans sa poche, le mordiller, baver dessus, régurgiter peut-être, le déchirer aussi. Ouin... pis? On veut qu'il aime lire ou qu'il devienne le protecteur suprême des livres, un futur bibliothécaire stricte et rigide comme dans nos souvenirs les plus atroces. Bien sûr, il va d'abord le manipuler sans aucune délicatesse n'étant réceptif qu'aux couleurs, parfois aux textures. Puis, un jour, il va déchiffrer les images. Plus tard, il comprendra que les petits gribouillis ordonnés s'appellent des lettres et que celles-ci selon les regroupements faits forment des mots et que les mots forment l'histoire... Ainsi de suite. Oui, les bébés aiment les livres. Pour eux, c'est un jouet comme les autres. Et c'est tant mieux. À nous, les parents d'entrer dans ce monde imaginaire et d'arrêter de freaker quand il le porte à sa bouche. Un livre n'est pas fait pour être en exposition sur une tablette. Il doit vivre dans les mains de ceux qui l'aiment.
Plus on laisse l'enfant explorer, plus on s'aperçoit qu'il adopte rapidement de vrais réflexes de lecteurs. Il tient le livre correctement Il fait courir son doigt le long des fils de mots. Il ne déchire aucune page. Il examine avec la minutie d'un détective les illustrations. Il invente des bouts d'histoire restés dans l'ombre.
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Et face à des excuses, voici des solutions et des explications toutes faites.
- J'haïs raconter des histoires aux enfants avant le dodo. Solution 1. Solution 2. Solution 3. Solution 4: refilez la tâche à papa puisque l'amour de la lecture chez les garçons surtout passe par leur exemple. Solution 5: Versez-vous un grand café dans votre tasse de transport, allez à l'heure du conte: il y a des gens payés pour raconter des histoires!
- Les livres, ça coûte cher. Solution 1: Exploitez les bibliothèques publiques. Solution 2 : gratuit et immense et agréable. Solution 3: les ventes de garage, les bazars et les échanges entre amis et voisins. On fait un roulement. On en vend, on en donne, on se les emprunte, on les partage, on les prête, on en rachète.
- On a trop de livres chez nous. Constatation 1: Impossible! Jamais trop de livres! Solution 1: Donnez-en à d'autres. Solution 2: Laissez-en dans un parc. Solution 3: Une fois le ménage fait, rachetez-en.
- Mon enfant n'est pas intéressé. Solution 1: Usez de subtilité. Laissez des livres traîner un peu partout.
- Bébé est trop petit. Solution 1. Solution 2.
- Pas encore la même maudite histoire. Explication 1: voyez les bons côtés, vous pouvez fermer les yeux en la lisant... ou presque!
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Si notre enfant aime les histoires, si en plus il aime lire et est capable de surfer sur son imagination, on peut respirer tranquille comme parent. On sait qu'il ne sera jamais seul. Il y aura tout un monde dans sa tête, une bande de personnages qui l'habitent et des forces magiques au fond de lui pour l'aider. On sait qu'il est capable de rêver.