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Ne pas suivre le lapin blanc.

Publié le 23 avril 2009 par Alexcessif
Ne pas suivre le lapin blanc.

La rue des trois conils(*)

(*) Conil: lapin

La ville assoupie subit l'ondée de Novembre. Des tourbillons venteux font des embruns pénétrants jusqu'aux os.

L'étrange inconnu relève le col de son burberry's en tournant à l'angle de la Vieille Tour et arrondit les épaules. L'homme sans cou s'éloigne entre les pages d'un Léo Malet un blues de Jonas dans la tête

Atmosphère polar à 4 heures du matin.

Le boulanger de la rue Brochon n'a plus rien à pétrir mais tout à décongeler. Il embauchera dans deux heures.Un soupirail soupire sans autre alternative, un clodo profite de sa chaleur gratuite.

Il pense au petit lapin blanc de tout à l'heure et à l'annonce que lui a faite Miranda:

Miranda demain se marie. Pour l'heure, elle gémit. Ses cheveux font des volutes entre ses épaules et coulent sur l'oreiller, la tête dans le traversin, les genoux sur les coussins dans une posture pornographique de batraciens stéatopyge offrant sa bague intime à son doigt sans ongle au pays de Sodome sans Gomorrhe.

C'est son cadeau d'adieu. Elle ranima de sa bouche sa raideur flèchissante à l'accueil de cette nouvelle doublement douloureuse. Et il fallu deux traits de coke pour retrouver l'indispensable rigidité. Il aperçut,surpris un lapin blanc tatoués au creux de ses reins avant de basculer dans le plaisir inconnu et violent.

A St Christoly un carnassier mécanique et géophage casse la croute de goudron, éventre la chaussée sous prétexte de travaux publics. Des éboueurs en pause casse la graine autour d'une quille de rouge.

L'inconnu soupire sur l'âme humaine en général et féminine si particulière. Il a peu de compassion pour ses congénères, passagers du vaisseau terrestre qui navigue vers le soleil.

Un restaurant fermé, des chaises qui patientent les quatre fers en l'air sur des tables complaisantes, lui épargne le spectacle des manducations inutiles. Son âme aigrie se rebelle, malgré la joie de ses fibres, inclue dans sa détestation aussi les objets.

Pas mieux pour les hommes:

Derrière les façades, les ventres repus d'anciens rebelles monocouille du peuple emmasculé, discipliné horizontal et raisonnable reposent flatulants et ronflants dans des rêves ordinaires d'écran plat ou de 4X4. Des catins légitimes ronronnent prés d'eux alourdies et rassasiées de leur dévotions conjugales.

L'adultère, dont Miranda ne veut pas, comporte cependant plus  de vérité que la sexualité convenue telle une sincérité au coeur du mensonge.

Il s'abrite par hasard sous l'encorbellement qui avance dans la rue Louis de Jabrun. Sous le mascaron d'une porte cochère il aperçoit intrigué, le deuxième lapin blanc!

Une bicyclette agonise innocente prisonnière à vie d'un réverbère complice d'un antivol. Les lampadaires perfusent la lumière vitale dans les artères de la ville exsangue de chalands en attendant le jour. Malgré les efforts des halogénes, la clarté jaunatre fait des ronds autour des poubelles éventrées. Devant la cour Mably une armée enterrée debout d'un seigneur de la guerre affleure la surface, les jumelles Weston patinent sur les casques de soldat luisants comme des pavés.

Les vitrines renvoient une image de Gene kelly muet et triste sur le glacis entre le Régent et le Grand Théatre. Le miroir fendu reflètent les douze muses du frontipice dessiné par Gabriel. Le ciel refeme ses paupières de nuages.

Cours Xavier Arnozan, un immeuble se souvient du fantome d'Hausman. Il y a un sommier qui gémit, un ange qui soupire, un homme qui  s'épanche, un arbre qui se penche sous le vent qui forcit. Plus loin la colonne des Girondins est dans son dos, hommage aux députés du tiers état et non pas stèle des milliardaires en short,. Il chemine entre les statues de Montaigne et Montesquieu. Elles ont la posture majestueuse, drapée dans des toges, et la mine offusquée de la fiente des rats volants sur leur perruques de pierre, de la miction des fétards et des déjections canines sur leurs piédestals . Elles patientent dignement entre la venue des forains de la foire aux plaisirs et l'ouverture de la brocante St Fort.Il franchit haletant et humide le portail imaginaire des colonnes doriques.

Voilà déjà La Garonne et le troisième lapin blanc taggué sur le parapet de la pile onze du pont.

Tout à l'heure, Miranda aura la bague au doigt et lui conserve à jamais autour de son membre la brûlure de la sienne.Un dernier visa sur son passeport de voyageur lubrique.

Le piéton libertin songe aux instants de l'existence, parfois chanson dont il n' écrivit pas les paroles, ni la musique,ou tantôt opéra, chef d'orchestre Miranda, à elle la  maitrise du livret, et de la partition.

Nulle décision pour la naissance et si peu sur le cour de la vie, les maladies, les joies, les rencontres, les voyages pas toujours sages. Le hasard, ou un lapin blanc, s'est chargé de sa destiné et s'est joué de ses apparentes actions le leurrant sur leurs incidences factices. Parfois quelques réussites éphémères l'ont enflé d'importance.

Le grand final, lui, se décide par la manière et le moment au royaume faste des certitudes contre le médiocre domaine de l'aléatoire.

Il n'a pas envie d'humer une autre parfum,de savourer une autre liqueur que celle de Miranda. De connaître un autre plaisir vulgaire, commun et faire du dernier l'unique absolu.Il se penche. Le garde corp offense sa poitrine.Il regarde au loin l'estuaire vers Pauillac, un vent marin lui apporte l'embrun véritable du sel et de l'iode.

Il ne peut voir dans son dos Martin qui arrive.

Martin Dodouss' va voir la mer!

Aujourd'hui il remonte à vide vers Pauillac pour charger le tronçon d'A 380, le déposera  à Langon qui finira son périple par la route jusqu'à Toulouse.Il est en avance sur la marée.

Troisième d'une génération de mariniers son grand-père menait les gabarres de Castillon à Libourne chargées de barriques de vin Clairet ou du "cassou," la pierre du Lot. Le métier, transmis par son père, avait bien failli disparaître quand les péniches remplacèrent les gabarres.

Il avait fallu l'Airbus et les amènagements du fleuve pour que la profession perdure.

Le touriste de Sodome est fasciné par le malstrom en dessous comme par la spirale sans fin d'un hypnotiseur.Il subodore le léviathan qui l'attend. La bande son de Jonas a laissé la place à Paolo Conté: "Una gelatti al lemon".

Son chant des Sirènes!

Glaçée c'est probable, saveur citron c'est moins sûr : Il plonge pour vérifier!

Martin aborde l'arche aménagée entre les piles dix et douze du pont de Pierre. L' hélice contrarie les tourbillons mue par les 1100 ch du diesel tribord. L'électronique compense le couple de renversement qui tire à babord. L'étrave apparaît à l'amont sous la pile du pont lorsque la poupe s'engage sous l'arche en aval

Dans cette phase délicate pour un marin d'eaux douces, Martin concentre sa vision sur l'antenne, une pointe érigée à la proue comme un viseur.

Il voit un ange, poitrine offerte, bras écartés, s'embrocher sur son fanal puis il perçoit un bruit immonde accompagnant le geyser rouge qui jaillit du torse déchiré et se termine en gargouillis.

"Encore un coup du lapin blanc" songe-t-il! Indifférent, cynique et contrarié, il observe que le frimeur, bien inspiré par les ondines, a plongé plutôt que sauté: Mieux vaut l' amant de la siréne qu'un sodomite empalé comme figure de proue!

Martin, retardé, ne verra pas la mer et le candidat à la noyade refusé par les nèrèides, agonise sur sa broche. 

Tout à l'heure, il ira effacer tout ces lapins blancs qui ne l'amuse plus.

"Tant pis pour ce prétentieux"pense-t-il en guise d'épitaphe, de toutes façons, on ne décide pas de sa mort à la place de Tanatos.

P.S: La rue existe, le reste est une fiction. Ou un fin possible!


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