Coco avant Chanel

Par Rob Gordon
S'écartant de son univers habituel (chabrolien et sensuel), Anne Fontaine est aux commandes de ce film... de commande, qui s'intéresse à l'époque où Coco Chanel s'appelait encore Gabrielle, orpheline multipliant les petits boulots tout en rêvant du grand monde. Coco n'aime pas spécialement les hommes, et le crie haut et fort : « ce que je préfère dans l'amour, c'est faire l'amour ; dommage qu'il faille un homme pour ça ». Visiblement Coco ignore l'existence d'autres variantes, mais c'est une autre histoire. Coco Chanel raconte donc comment cette future figure phare du monde de la mode s'est forgé ce caractère bien trempé et s'est mis en tête de révolutionner le quotidien de la femme en lui offrant liberté, oxygène, ampleur.
Problème : en un quart d'heure, tout est joué. On a parfaitement compris que les hommes sont des pourris doublés d'obsédés et que seul le travail importe ; que cette pauvre petite fille n'accepte d'être hébergée et lutinée par un riche compiégnois que pour en tirer un bénéfice social ; qu'elle ne va pas tarder à rencontrer l'amûûûûr, le vrai, celui qui fait fondre les coeurs les plus rocailleux. Cela se produira en effet un peu plus tard avec l'apparition d'un Alessandro Nivola à côté de ses baskets, si concentré sur son français assez impeccable qu'il en oublie un peu de jouer (c'est pourtant un acteur très intéressant). Fontaine étire alors qu près de deux heures une sorte de triangle amoureux joué d'avance, où le personnage de Benoît Poelvoorde (excellent) est le dindon de la farce, mais où les deux autres ne sont pas certains non plus de trouver leur compte.
Il y avait là tant de thèmes à exploiter, un manifeste féministe en puissance, une symphonie de tissus et de textures ne demandant qu'à être filmés, un drame passionnel au classicisme délicieusement suranné... Pourtant, comme tétanisée par le poids de la commande (et pressée par les producteurs afin de sortir le film avant celui de Jan Kounen, consacré à Coco pendant Chanel), Anne Fontaine n'en fait rien, cédant aux sirènes d'un biopic lisse, peu engageant, au filmage sans ampleur et au scénario sans idée. On en vient à se moquer de cette histoire et à rêver du film de Kounen, avec Anna Mouglalis et Mads Mikkelsen en Igor Stravinsky, qui sera irrémédiablement moins plat et plus profond que ce film ressemblant à une mise en images (et pas mise en scène) d'une double page de Point de vue - Images du monde. Vivement le retour d'Anne Fontaine à un style plus tortueux.
3/10