© P. Pasadas pour le Journal du CNRS
Le xxe siècle
a vu exploser le nombre de technologies capables de produire et
diffuser de l'information. Jamais l'humanité n'a baigné dans un tel
océan de messages de toute nature et de toute provenance. À l'heure
actuelle, pour 6,7 milliards et demi d'individus, on compte 4,5
milliards de postes de radio, 3,5 milliards de télévisions, 2,5
milliards de téléphones portables, 2 milliards d'ordinateurs… « En
cinquante ans, les progrès accomplis par les techniques de
l'information ont entraîné une amplification extraordinaire des flux
d'informations, dit Pierre Guillon, directeur scientifique au CNRS
(Institut des sciences et technologies de l'information et de
l'ingénierie, INST2I). Dans un futur proche, la capacité de ces
supports à transporter sous forme numérique des données d'un point à un
autre va encore augmenter, entre autres grâce au développement des
fibres optiques et des systèmes satellitaires. En parallèle, l'essor
des nanotechnologies stimule la miniaturisation et la mobilité de ces
outils auxquels il s'agira de greffer des systèmes énergétiques aussi
petits que possible. La numérisation de nos sociétés, dans tous les
domaines, est en cours ! Encore faut-il réfléchir aux changements
lourds induits par ces nouvelles technologies sur le plan social,
politique, collectif. La communication est toujours plus complexe que
les techniques. C'est pourquoi, au sein de l'INST2I, nous promouvons
une activité de recherche dite “socialement responsable” pour inciter
les chercheurs à penser les implications sociétales de leurs travaux. »
Pas
de doute : les frontières de la communication ont éclaté. Tout le
monde, dorénavant, peut accéder à toutes les informations, tout le
monde « voit tout et sait tout sur ce qui se passe “ailleurs”,
tout le monde peut être au courant, en l'espace de trois ou quatre
jours maximum, de n'importe quel événement (crise financière,
catastrophe naturelle, guerre, assassinat, naissance…) survenant
n'importe où dans le village global de plus en plus numérisé qu'est
devenue la planète, renchérit Dominique Wolton, directeur de l'Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Cela
représente une rupture dans notre rapport au monde, parce que cela nous
rend visibles tous les autres, toutes les cultures, les religions, les
couleurs de peau… ».
Mais avec l'augmentation des flux
d'informations, le taux de compréhension et de tolérance entre les
hommes s'accroît-il ? Avec l'explosion du nombre d'ordinateurs, de
serveurs Internet, de téléphones portables, de radios et de
télévisions, nous rapprochons-nous davantage les uns des autres ? De
toute évidence, non. La prolifération des techniques d'information
abolit les distances physiques et dilue les frontières nationales, mais
« elle ne dissout pas les difficultés d'intercompréhension, elle
ne débouche pas automatiquement sur l'universalité de la communication, assure Dominique Wolton. En
créant CNN au début des années 1980, les Américains se figuraient
naïvement que cette chaîne d'information mondiale allait servir de
rampe de lancement à leurs valeurs, propager urbi et orbi leur “way of
life” ou leur “world thinking”, et ensemencer la “conscience
démocratique” là où elle n'existait pas. Or, c'est exactement l'inverse
qui s'est produit. Loin de féconder du lien social, CNN n'a cessé de
sécréter de l'anti-américanisme et d'attiser des revendications
identitaires. Ce n'est pas parce qu'un émetteur répète indéfiniment un
message que celui-ci devient forcément un modèle universel. Regarder ne
suffit pas à adhérer. Être influencé ne signifie pas être dupe... »
© Benoît Martin, décembre 2006
Le facteur humain
En d'autres termes, aucun lien
mécanique n'existe entre la production exponentielle d'informations,
via des médias de plus en plus performants, et le succès du dialogue,
du partage, de la cohabitation avec l'Autre, celui dont la langue,
l'idéologie, les codes, la religion, les rituels, les références
historiques…, sont bien souvent aux antipodes des nôtres. Plus il y a
d'information et de « tuyaux » pour la faire transiter et plus la
communication, paradoxalement, s'avère ardue. « Le plus simple,
dans la communication, reste les techniques, le plus compliqué, les
hommes, les sociétés, la diversité culturelle dont l'importance a été
reconnue officiellement par la communauté des États grâce à l'adoption
par l'Unesco, en octobre 2005, de la “Convention internationale sur la
protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles”
(56 États ont ratifié ce traité) », insiste Dominique Wolton,
pour qui la question de la communication humaine dans la mondialisation
se pose après la victoire de l'information. « C'est même la question essentielle de ce début du XXIe siècle après celle de l'environnement, dit-il. L'information,
c'est le message. La communication, c'est la relation, autrement dit
quelque chose de toujours plus difficile à traiter, parce que deux
personnes qui parlent ensemble, non seulement ne sont pas identiques,
mais peuvent aussi ne pas se comprendre. On voudrait tous que l'Autre
nous ressemble, et on s'aperçoit toujours qu'il est différent de soi.
» Construire les concepts pour penser la communication – ou plutôt «
l'incommunication » – dans nos sociétés ouvertes ou encore la question
grandissante de l'altérité, est donc indispensable. Deux philosophies
de la communication s'affrontent. La première soutient que la
démultiplication et la vitesse de fonctionnement des « tuyaux »,
l'interconnexion de tous avec tous résout d'elle-même la question des
rapports entre les hommes et les sociétés. « Cette approche
valorise une vision technique et économique de la communication et nie
l'Autre en oubliant qu'au bout des réseaux, il n'y a pas des machines
mais des communautés humaines avec leurs langues, leurs idéologies,
leurs cultures singulières », poursuit Dominique Wolton. La seconde approche s'efforce donc de «
dé-techniciser la question de la communication pour la “ré-humaniser”
et la “re-politiser”. Elle se focalise par conséquent sur la question
de l'homme, place l'obligation de négocier avec autrui, la cohabitation
des différences, au centre de ses réflexions ».
La suite ici
Auteur : Philippe Testard-Vaillant
Source : Journal du CNRS
Publié sur : le vide poches / échange
Publié par : Nicolas Marronnier