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Naturalisations : témoignage de l’arbitraire préfectoral par Zoé

Publié le 23 avril 2009 par Combatsdh

Au nom d’une soi-disant plus grande efficacité et d’une hypothétique réduction du délai de la procédure de naturalisation, la réforme actuelle vise à conférer aux seules préfectures l’examen des dossiers de demande de naturalisation et le pouvoir d’ajourner ou de refuser la nationalité française à l’étranger-ère qui en fait la demande.

Les naturalisations seront toujours accordées par décret pris par le Premier ministre, sur rapport du ministre chargé des naturalisations et proposition (et non plus avis) du préfet et donc seront toujours aussi - voire plus - longues.

Je voudrais, en me fondant sur ma propre expérience de la procédure de naturalisation, montrer d’une part que la disparition de la Sous-direction des naturalisations, aujourd’hui renommée Sous-direction de l’accès à la nationalité française (SDANF), ne réduira en rien la durée de la procédure de naturalisation, d’autre part que la réduction du rôle de cette Sous-direction dans les décisions de naturalisation risque de toucher à l’égalité de traitement des candidat-e-s à la naturalisation.

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Combats pour les droits de l’homme publie le témoignage de Zoé, doctorante, qui décrit les méandres de la procédure de naturalisation et l’arbitraire préfectoral dans le traitement des dossiers.

Nous avons ajouté des commentaires à partir d’un reportage d’Envoyé spécial sur la procédure de naturalisation datant de décembre 2007 qui montre l’importance du rôle de la SDANF.

Jusqu’à présent, la procédure de naturalisation est constituée de deux étapes, une au niveau des préfectures et une au niveau de la Sous-direction de l’accès à la nationalité française:

  • Au niveau de la préfecture:

- Les postulant-e-s retirent (voir ici le modèle CERFA en PDF) et déposent leurs dossiers de demande de naturalisation auprès de la préfecture de leur lieu de résidence.

Cette seule étape peut prendre jusqu’à une année dans certaines préfecture et n’est pas comptabilisée dans le délai de 18 mois imposé par la loi pour instruire le dossier.

- Une fois leur dossier enregistré par le service des naturalisations de la préfecture, les postulant-e-s sont convoqué-e-s, dans un délai de six mois à un an, à un entretien “d’assimilation linguistique” qui se déroule aussi en préfecture et à un entretien de “bonne moralité” avec la police ou la gendarmerie (avec éventuellement une enquête).

v. dans ce reportage d’Envoyé spécial, la queue pour retirer le dossier (5è min 30) l’impressionnant couloir où sont stockés les dossiers de demande de naturalisation à la préfecture de Bobigny (6 min 45), des entretiens d’assimilation dans le cadre d’une procédure de déclaration d’une conjointe de Français (7 min 30) et l’enquête de voisinage par la police (10 à 13ème min)

  • au niveau de la SDANF

En se fondant sur ces entretiens et sur les différents éléments du dossier, la préfecture émet un avis et transmettait l’ensemble du dossier à la Sous-direction de l’accès à la nationalité française qui réexamine entièrement le dossier et décide de la réponse qui serait donnée.

 v. toujours dans Envoyé spécial (4ème à 9ème minute)

Dans ce cas, les agents de la SDANF prennent une décision de naturalisation contre l’avis de la préfecture (voir 9 minute 45). Celle-ci était opposée à la naturalsation non pas en raison du défaut d’assimilation de la postulante mais parce que le père de son enfant - avec lequel elle a perdu tout contact - serait en situation irrégulière.

En effet, en 2006, lorsque les préfectures émettent un avis favorable, la SDANF accorde la naturalisation dans 91% des cas.  Lorsque les préfectures émettent un avis négatif, la SDANF accorde néanmoins la naturalisation dans 44% des cas.
C’est dire le rôle de vigie fondamental de cette sous-direction. Même si son fonctionnement n’est pas exempt de toute critique, marqué notamment par une très grande opacité, la SDANF joue un rôle irremplaçable pour assurer une application égalitaire de la loi.
Le reportage d’Envoyé Spécial et le témoignage de Zoé le montrent bien.

C’est ce garde-fou que veut faire “sauter” la réforme initiée par Eric Besson.

Le ministère fait valoir que le candidat débouté par la préfecture pourra toujours formuler auprès du ministère un recours hiérarchique.
Mais il ne dit pas qu’en règle générale, les ministères ne répondent pas à ces recours et les administrés ignorent que dans ce cas le recours est rejeté au bout de 2 mois.
Le risque est donc que les candidats à la naturalisation déboutés par les préfectures se heurtent au mur du silence ministériel.
Actuellement la décision est prise par le SDAN, après avis de la préfecture, et le candidat a toujours la possibilité de formuler ensuite un recours auprès du ministre.
La réforme supprime donc un niveau de recours et risque d’allonger les délais puisque la quasi-totalité des refus opposés par les préfectures feront l’objet d’un recours hiérarchique.

 

La longueur des délais de la procédure

Dans mon cas, la phase préfectorale aura duré deux ans alors que la SDANF m’aura répondu dans un délai huit mois. Ces 32 mois sont donc bien loin des 18 mois imposés par la loi

Une procédure de demande de naturalisation dure entre deux et cinq ans. Le délai moyen de 20 mois qui n’est décompté qu’à partir du moment où la préfecture enrefistre réellement le dossier (alors que le plus long est souvent la prise de rendez-vous) dissimule mal d’importantes disparités.

Incontestablement, les délais les plus longs concernent surtout la phase préfectorale de la procédure.

L’état actuel du stock de dossiers de naturalisation en instance est de 78 000 dossiers en préfecture et de 40 000 à la SDANF.

La réforme initiée par Eric Besson va sans conteste allonger ces délais dans la mesure où les préfectures n’ont pas les moyens de faire face à cette surcharge de travail et qu’au demeurant la procédure d’octroi de naturalisation par décret sera toujours aussi longue au niveau ministériel.

Concrètement:

- j’ai envoyé mon dossier à la préfecture de mon lieu de résidence, une première fois en mars 2006.

- Fin octobre 2006, je reçois un appel du service des naturalisations me disant que mon dossier comporte trop de documents et qu’il ne peut, de ce fait, être traité. Je dois donc me rendre à la préfecture pour retirer certaines pièces. Sans vouloir revenir ici sur la manière dont s’est déroulé l’échange avec l’agent qui traitait mon dossier, j’ai dû, au terme de cette matinée, enlever tous les documents qui visaient à montrer que mes attaches personnelles et professionnelles étaient désormais en France.

- Début novembre 2006, soit une semaine après cette matinée passée à la préfecture, le dossier m’est renvoyé au motif, cette fois-ci, que des documents manquaient. Ayant dû m’absenter de Paris pendant un mois pour des raisons professionnelles, je ne peux prendre connaissance de cet envoi qu’un mois et demi après et je ne récupèrerai mon dossier à compléter qu’au début du mois de janvier 2007.

L’agent qui m’avait reçu aurait pu, bien sûr, me dire à ce moment-là que certains documents étaient à ajouter. Cela m’aurait fait gagner deux mois et aurait évité le risque d’un ajournement - ce qui se serait produit si je n’avais pas répondu dans un délai de trois mois.

Plus grave encore peut-être, cet agent me demandait en fait de réactualiser les pièces jointes à mon dossier alors même que ces documents étaient valides au moment du premier envoi, qu’un dossier ne peut être considéré comme incomplet parce que des pièces sont à réactualiser et que, dans le cadre de la procédure de naturalisation, la réactualisation des pièces jointes au dossier se fait au moment de l’entretien d’assimilation linguistique.

- Finalement, mon dossier a été enregistré comme dossier complet à la fin du mois de janvier 2007 - soit près de 10 mois après le début de mes démarches. 

C’est à compter de cet enregistrement que s’enclenche le délai légal de 18 mois pour instruire la demande.

- En avril 2008, je suis convoqué à l’entretien préfectoral.

- Mon dossier est transmis dans les mois qui suivent à la Sous-direction de l’accès à la nationalité française et je finis par avoir une réponse au mois de janvier 2009.

Bien sûr, il ne s’agit là que d’un exemple parmi d’autres. Mais il montre d’abord que, contrairement à ce qui est dit pour légitimer l’actuelle réforme de la procédure de naturalisation, les délais longs concernent la phase préfectorale de la procédure. En ce sens, supprimer la Sous-direction de l’accès à la nationalité ne règlera en rien le problème.

Le pouvoir des guichets

Ce qui frappe quand on fait l’expérience de cette procédure c’est à quel point elle peut se transformer en épreuve selon l’agent sur lequel « on tombe ».

Des documents acceptés par certains agents ne le sont pas par d’autres. Par exemple, si j’avais ajouté des documents à mon dossier, c’est parce que des connaissances ou des ami-e-s qui avaient aussi suivi cette démarche l’avaient fait et m’avaient conseillée de le faire. Or ce qui était accepté par les agents qui ont traité leurs dossiers ne l’était par celui qui a eu le mien et j’ai donc dû retirer un certain nombre de documents.

De la même manière, le traitement réservé aux dossiers pour lesquels il manque des pièces varie d’un agent à l’autre. Certains agents préfèrent enregistrer le dossier et demander aux postulant-e-s de joindre les pièces complémentaires par courrier ou de les apporter lors de l’entretien d’assimilation linguistique alors que d’autres décident de renvoyer les dossiers considérés comme incomplets à leurs expéditeur-rice-s.

Ces différences entre agents constituent autant d’effet de filtre et retardent le traitement des dossiers.
Or ces différences entre agents se trouvent aussi redoublées par des différences entre préfecture. Il suffit en effet de discuter avec des postulant-e-s pour savoir que, dans telle préfecture, les choses se passent plus facilement, alors que dans telle autre il y a toujours des documents qui sont demandés en plus, qu’il faut donc revenir à plusieurs reprises et attendre. Ces différences entre préfectures sont dues au fait que chaque chef de service dispose d’une marge de manœuvre importante dans l’interprétation qu’il fait des circulaires d’application. Elles induisent en tout cas une inégalité forte dans le traitement qui est fait des postulant-e-s. cette inégalité peut se manifester, comme je l’ai déjà dit, au moment du dépôt et de l’enregistrement du dossier, mais aussi au moment de la formulation de l’avis émis par le service des naturalisations. Selon la lecture locale faite de telle ou telle circulaire d’application, des avis différents pourront être donnés à des dossiers pourtant similaires. Or du fait de son caractère centralisé, la Sous-direction de l’accès à la nationalité garantissait, jusque-là, un respect plus grand de l’égalité de traitement des dossiers.

 Comme l’a démontré Alexis Spire dans ses travaux (Accueillir ou reconduire. Enquête sur les guichets de l’immigration , Raisons d’agir, 2008), les agents de préfecture ont été convertis à une logique de contrôle et de suspicion à l’égard des étrangers et à une culture du résultat basé sur des objectifs chiffrés.

Leur confier le pouvoir de refuser les naturalisations, ou de les ajourner, c’est prendre le risque de reproduire cette logique dans le traitement des dossiers de naturalisation.
Il n’est pas rare ces dernières années de voir des étrangers hautement qualifiés avoir bien des difficultés à obtenir une carte de résident des préfectures mais qui réussissent en raison des critères d’assimilation et de stabilité à obtenir une naturalisation de la SDAN.
C’est pourquoi, avec cette réforme, la procédure de naturalisation risque de se dégrader à l’image de la dégradation des conditions d’accès des étrangers au séjour depuis 2003.


En confiant aux agents de préfectures le pouvoir d’instruction et de décision des refus de naturalisation, la réforme vise manifestement à sélectionner qui on naturalise ou non, suivant des critères inavouables.


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