En arrivant chez mon frère lundi soir, en plus de la fatigue due aux trajets, mon moral est en berne. Deux
refus dans la journée, j'ai un peu de mal à digérer. Certes je ne m'attendais pas à grand chose concernant Pertuis, mais j'ai eu du mal à entendre le refus du professeur S. à Grenoble. Et puis, les
petites phrases qu'il a distillées n'ont rien arrangé : « C'est bien la césarienne! Pourquoi prendre un tel risque pour un dernier enfant ? ». Il est même allé jusqu'à me dire qu'étant
donné que j'avais déjà connu un accouchement par voie basse, je ne devais pas me plaindre, je n'avais aucune raison d'être frustrée à ce point. Et tout cela sans savoir dans quelles conditions
cette première naissance s'est déroulée... La cerise sur le gâteau fut son approche "philosophique" de la naissance : une histoire de femmes selon lui. « Mais alors mon bon monsieur, que
faites -vous là ? » Non, je ne l'ai pas dit. Je me suis mordu la langue à la place, mais je suis certaine qu'il l'a entendu tant je l'ai pensé fort. Seul point positif de cette rencontre,
entendre que nous ne sommes pas fous, que notre demande est raisonnable.
Tout de même, lundi soir, ça trotte dans ma tête... Qu'allons-nous faire si les discours sont tous les mêmes? Il ne nous reste plus que l'obstétricien de Vitrolles à voir, plus qu'une chance. Et il
me faut attendre jusqu'à mercredi 17h30. Non! Puisque nous y sommes, pourquoi ne pas démarcher l'hôpital Nord ? Mardi, en fin de matinée, je passe un coup de fil à la maternité de cette structure
et je demande à parler à une sage-femme ayant un peu de temps. Après lui avoir expliqué ce que je cherche et pourquoi, elle me rassure dans un premier temps en me disant qu'elle voit ce type
d'accouchements régulièrement. Puis elle prend mes coordonnées afin qu'un obstétricien puisse me rappeler. Une heure plus tard, le DR L. prend contact. Au téléphone, il demande les détails de mes
précédents accouchements et, après m'avoir dit qu'il ne voit pas de raison de me césariser une troisième fois, il me donne un rendez vous pour le lendemain 13h.
Ce contact téléphonique me remet un peu de baume au cœur. À la voix, je ne lui donne pas plus de 40 ans, ce qui pour moi ne correspond pas à quelqu'un qui peut être ouvert sur le sujet. Elles sont
terribles, ces idées bien arrêtées. 60 ans, vieille école, capable de tout, en ayant vu des vertes et des pas mures et se fichant bien du protocole; 40 ans, p'tit jeune qui se soucie surtout des
recommandations du CNGOF et les appliquent à la virgule près par peur d'une plainte éventuelle.
Mercredi matin, l'impatience me gagne en même temps qu'un nœud bien serré s'installe dans mon l'estomac... Nous finissons par arriver devant ce grand bâtiment. Impressionnant ! Je ne m'en souvenais
pas ainsi. C'est la galère pour se garer, mais pas de panique, nous sommes très en avance. Enfin nous entrons dans ce grand hall plein de courants d'air. Un premier accueil puis un second, les
formalités sont vite expédiées... et commence l'attente. Impossible de savoir combien de temps s'est écoulé lorsque le Dr L. nous appelle, mais bon sang, qu'est-ce qu'il me paraît jeune !
À peine ai-je sorti mon dossier que son téléphone sonne. Il sonnera au moins trois fois de plus durant notre entretien. Pour lui, d'après le contenu de mon dossier, pas de problème pour un AVA2C.
D'autant que, suite à l'examen auquel je me suis pliée, il confirme que mon bassin est parfait pour envisager une voie basse. Il me donne quelques analyses à faire, s'étonne que le test de
O'sullivan n'ait pas été fait, vérifie les échographies, peste contre la qualité des clichés ainsi que sur les comptes-rendus qu'ils jugent incompréhensibles. Tout de même, cette dernière
échographie lui pose problème. Cette petite anomalie au niveau du cerveau, ce cavum vergæ. En l'absence d'anomalie associée, il ne s'agit que d'une variante dans le développement du cerveau. Sauf
que lui veut vérifier. Il ne semble pas avoir confiance en l'échographiste qui nous suit depuis le début. N'a-t-elle pas eu besoin d'envoyer les clichés à un confrère afin de confirmer son
diagnostic ? Il veut en avoir le cœur net.
« Allo, oui c'est pour un avis sur un cavum vergæ... Allo, oui c'est moi, tu connais le Dr V. ? Et le Dr A. ? » Il multiplie les appels à ses collègues, en vain, puis se lève tout à coup.
« Prenez vos affaires, suivez-moi. » Le temps de ramasser sacs, blousons et dossiers à la va-vite, il est déjà au bout du couloir. Nous le suivons tant bien que mal, évitant les médecins
et les patients qui nous croisent à contre-courant, esquivant les retours de portes battantes. Arrivé dans une nouvelle zone, il nous demande d'attendre. Il jette un œil dans un bureau, passe la
tête dans une salle et disparaît finalement derrière une porte. Quelques instants après, il ressort en me tendant mon dossier siglé "Hôpital Nord" avec une feuille de suivi. « Prenez
rendez-vous avec l'anesthésiste, c'est par là, et puis attendez ici que l'on vienne vous chercher pour passer une écho de contrôle. Il y en a pour à peu près deux heures, vous pouvez aller
boire un café. » C'est gentil, mais nous n'avons pas encore mangé. Et nous avons surtout un autre rendez vous, du coté de Marignane, que nous ne raterions pour rien au monde. Pas le temps de
lui dire que notre timing est serré, ni de lui demander des détails sur le protocole prévu pour mon accouchement, son téléphone sonne à nouveau. Il doit filer au bloc. Nous n'avons eu le temps
d'apprendre que deux choses : pas de problème pour la voie basse, mais la péridurale est obligatoire car elle permet d'intervenir plus rapidement en cas de rupture utérine. Sur ce dernier point,
ils ne transigeront pas.
L'échographie, nous ne la ferons pas. Rendez-vous pris avec l'anesthésiste, nous apercevons une dernière fois le Dr L. Il nous rassure, nous dit que le bébé va sûrement très bien mais qu'il aurait
préféré vérifier. Nous lui expliquons que nous sommes attendus à Marignane par le Dr S. « Passez-lui le bonjour de ma part », conclut-il dans un sourire. Le lendemain matin, dès 9h, il
laissera un message sur mon portable disant qu'il a présenté mon dossier en staff et que toute l'équipe médicale est d'accord pour l'AVA2C.
Après avoir quitté l'Hôpital Nord, nous discutons, mon cher et tendre et moi, de nos impressions tout en grignotant dans la voiture. Nous sommes d'accord sur le fait que le site ne nous plaît
vraiment pas (ben oui, maintenant qu'on en a un, on fait la fine bouche) : trop de monde, de portes qui claquent, de bruits, etc. Le lieu est à l'image du rendez-vous que nous venons d'avoir :
speed. Mais grâce à cette consultation, nous nous dirigeons vers Marignane avec le moral au beau fixe.
Ce n'est pas une grande ville, il nous faut pourtant un certain temps pour trouver le cabinet du Dr S. Là aussi attente, longue. Elle me paraît plus longue qu'à Nord, mais je sais que c'est
seulement parce que nous n'avons fait que ça tout l'après midi. Enfin c'est à nous. Il ne m'a jamais vu... première consultation... sept mois et demi de grossesse... Ça y est, il se souvient ! Nous
nous sommes parlé au téléphone.
Lui aussi étudie mon dossier, s'attarde notamment sur mes antécédents de grossesse. Contrairement à son confrère, la dernière échographie ne lui pose pas de problème, le compte rendu lui semble
clair et les images de bonne qualité. Et aucun examen ne lui semble nécessaire à ce stade. Au bout d'un bon quart d'heure, son opinion est faite : lui non plus ne voit pas de contre-indication à la
voie basse. Il n'impose même pas la péridurale; il préférerait mais ce n'est pas une obligation. D'ailleurs ce détail pourrait s'avérer décisif pour notre choix. Il ne sait pas si les anesthésistes
de la clinique font encore des péridurales ambulatoires. Si c'est le cas, je pourrais peut-être accepter le principe d'un dosage a minima en cours de travail. Sinon, je n'ai aucune envie de me
retrouver immobilisée en position gynécologique. En dehors du mauvais souvenir que j'en ai, cela amputerait sérieusement mes chances de réussir cet AVA2C. La mobilité, il n'y a que ça de vrai. Pour
ce qui est de la présence du père au bloc en cas de césarienne, rien n'est garanti non plus. Lorsque l'opération est programmée, le père reste à la porte; lorsque elle est décidée en cours de
travail, c'est au bon vouloir de l'obstétricien et de l'anesthésiste.
Malgré ces quelques inconnues, l'entretien est positif. Le Dr S. reconnaît d'ailleurs volontiers que si les progrès de la médecine ont permis d'améliorer considérablement la sécurité de la
naissance au XXème siècle, ils ont entraîné ces dernières années un excès de médicalisation. « Ce genre d'accouchements est aussi, pour nous, une occasion de remettre nos pratiques en
question. » Pour la première fois, nous avons l'impression qu'un médecin est sur la même longueur d'onde que nous et qu'il pratique son métier en accord avec ce principe d'ouverture. Pas trop
tôt ! Petit bonus, la clinique de Vitrolles ne pratique aucun dépassement d'honoraires sur les accouchements. Nous sommes enthousiastes, mais il est encore un peu tôt pour se réjouir complètement.
Le Dr S. a cinq confrères à convaincre. Mais là encore, il ouvre une porte. « Je vous donnerai la liste de ceux qui sont pour et de ceux qui sont contre. »
À partir de cet instant, une stratégie se dessine dans mon esprit. Au regard de ce que nous venons d'entendre, la clinique de Vitrolles me semble plus accueillante que l'Hôpital Nord. Le jour J,
nous téléphonerons donc à la première afin de savoir qui est de garde. Si c'est un médecin favorable à l'AVA2C, c'est là-bas que j'irai accoucher; dans le cas contraire, ce sera Marseille. Dans les
deux cas, il se peut d'ailleurs que ce soit le Dr L. qui soit présent; s'il connaît bien le Dr S., c'est parce qu'il prend des gardes sur la clinique de Vitrolles.
À six semaines du terme, nos recherches sont enfin positives. Et ce sont finalement deux structures qui sont prêtes à nous accueillir. Après tant de réponses négatives, trouver une oreille
attentive devenait chaque jour un peu plus improbable; en trouver deux le même jour, ça relève de l'exploit !