Vendredi dernier, je
piaffais d'une certaine impatience. Comme chaque semaine, nous étions à Briançon pour suivre la séance de préparation à l'accouchement et j'avais hâte d'annoncer à notre sage-femme la bonne
nouvelle. Elle qui nous épaule dans notre démarche depuis le début de la grossesse de Gabrielle, et dont les propos intelligents nous ont convaincu que nous étions sur la bonne voie, elle devait
savoir que nous avions enfin trouvé non pas un mais deux structures qui acceptaient de nous accueillir.
Je prends la séance en cours de route en raison d'un rendez-vous de dernière minute. Gabrielle est déjà là, comme une douzaine d'autres personnes, futures mamans et futurs papas confondus. Pour la
première fois, la douceur printanière des rayons du soleil permet à la séance de se dérouler en plein air, dans le jardin d'A. Après les moments d'information et de relaxation, A. nous invite à
entrer dans son salon; elle souhaite nous montrer le film d'un accouchement. Prudemment, quelques pères en devenir restent dehors. Je m'installe à côté de Gabrielle et la projection commence.
C'est une vieille VHS qui a visiblement quelques heures de vol. Les caractères qui s'affichent sur l'écran pour former le générique viennent confirmer; le film a été monté avec une console de
montage rendue depuis longtemps obsolète par les progrès fulgurants de l'outil informatique. L'année apparaît finalement : 1989. A. ne nous avait pas prévenu, mais elle apparaît rapidement à
l'image, elle est la sage-femme qui guide une future mère dans son enfantement. Et comme elle a déjà dû le faire des centaines de fois, c'est à domicile qu'elle officie.
Le film ne dure pas plus d'un quart d'heure et se concentre sur la dernière phase de l'accouchement. Dans une semi-pénombre, la femme prend de grandes inspirations et souffle lorsque les
contractions se présentent. La fatigue se lit sur son visage, tout comme l'effort physique qu'elle doit encore fournir. Mais si la douleur doit bien être présente, elle ne se manifeste par aucun
cri, aucune crispation. La femme qui accouche l'a visiblement dépassé et navigue dans un état second dominé par la sérénité. L'impression de plénitude traverse l'écran jusqu'à la délivrance.
Équipée d'une lampe frontale, A. récupère l'enfant et le dépose immédiatement sur la poitrine de sa mère. Les forces qui ont présidé à cette naissance ont été considérables, mais elles ont été
canalisées avec une grande douceur.
Une nouvelle fois, la dimension magique, mystique même de la naissance nous apparaît clairement. Une nouvelle fois, le besoin de la préserver pour l'accouchement de Gabrielle nous paraît
indispensable.
La séance touche à sa fin et chacun rassemble tranquillement ses affaires avant de partir. A. nous interroge finalement sur les fruits de nos recherches. Notre réponse lui fait plaisir. Tout comme
nous, elle doit être rassurée de savoir que nous avons enfin trouvé un lieu pour nous accueillir. Tout comme nous, elle ne semble avoir aucun doute sur le bon déroulement de cette naissance à
venir. Tranquillisée, elle nous livre son sentiment : « Eh bien après tout ça, vous aurez de quoi écrire un roman ! » Un roman ? Non, plutôt un journal. Nous ne lui avons pas encore dit,
mais le travail d'écriture est déjà bien entamé...