Sarkozy et l’exploitation méthodique du sentiment d’insécurité

Publié le 21 avril 2009 par Lozsoc

Le Matamore en pleine action

Sarkozy et la sécurité : une tactique bien rodée

Sarkozy investit systématiquement le champ de la sécurité chaque fois qu’il s’agit de passer sous silence l’effroyable maigreur de son bilan économique et social. La tactique est rodée et, bien que connue, elle fait toujours son petit effet dans le landerneau médiatique.  En déplacement aujourd’hui à Nice (Alpes-Maritimes), le mini président a donc annoncé qu’il allait passer à « la vitesse supérieure » contre l’insécurité, notamment grâce au prochain durcissement de la loi contre les bandes, les intrusions dans les écoles et les manifestants violents. Dont acte.

Puisqu’il s’agit ici d’éluder la situation économique et sociale préoccupante du pays pour se concentrer uniquement sur la sécurité et la lutte contre la délinquance, alors parlons-en ! Car la politique sécuritaire, dont Sarkozy s’est fait le chantre et le spécialiste, s’apparente en réalité à une monumentale faillite. Et le mot n’est pas trop fort.

Une inflation inefficace de lois sécuritaires

Que signifie au juste ce durcissement annoncé de la loi pénale sinon l’adoption de nouveaux textes qui vont venir s’ajouter à tous ceux qui ont été promulgués depuis 2002 ? On voit donc que, pour Nicolas Sarkozy, « la vitesse supérieure » n’est rien d’autre qu’une inflation législative. On promet aux Français de nouvelles lois comme on jetterait un os à des chiens.

En effet, en parcourant la table chronologique de l’édition Dalloz 2009 du Code pénal, on constate que le droit pénal français a été modifié par 116 lois du 1er janvier 2002 au 18 juillet 2008 ! Et l’on ne compte pas dans ce nombre hallucinant les modifications afférentes à la procédure pénale ainsi que l’ensemble des décrets d’application de ces textes. Ce corpus législatif est déjà le signe patent de la faillite de la doctrine sécuritaire qui consiste à croire qu’il suffit d’édicter des normes répressives pour que les problèmes, auxquels elles sont censées s’appliquer, trouvent une solution.

Le cri par Edvard Munch (1894-1895)

qui s’appuie sur le « sentiment d’insécurité »

Sébastian Roché, criminologue et directeur de recherches au CNRS, a longuement étudié les évolutions de la délinquance en France, et notamment la manière dont elle est empiriquement mesurée. Parallèlement aux atteintes aux biens (vols, cambriolages, dégradations) et aux personnes (coups et blessures, viols, homicides), ce spécialiste a observé l’apparition, depuis une trentaine d’années, de la notion floue de « sentiment d’insécurité », qui est une manière de se saisir de la question de l’augmentation de la délinquance sans avoir à se prononcer sur ses causes sociales et économiques. Si ce sentiment d’insécurité témoigne d’un malaise réel et perceptible d’un grand nombre de concitoyens, le danger de ce concept réside dans le fait qu’il risque de se confondre avec les actes (violents ou non) de délinquance. L’inquiétude, fût-elle fondée, ne saurait se confondre avec la cause qui l’engendre et qui peut trouver sa source dans de simples incivilités. En d’autres termes la peur d’être agressé n’est pas constitutive en soi d’une agression répressible au plan pénal.

Sarkozy et la sécurité : un bilan mitigé loin des effets d’annonce

Or, c’est précisément sur cette confusion permanente entre « délinquance » et « sentiment d’insécurité » que joue Nicolas Sarkozy depuis 2002 pour se livrer à une surenchère sécuritaire. C’est ainsi que celui-ci se glorifiait en 2006 de la baisse significative des crimes et des délits en se fondant sur des statistiques établies par l’observatoire national de la délinquance. Cependant, une approche plus fine et plus approfondie des chiffres publiés par cet organisme a montré que cette baisse générale était finalement trompeuse. En effet, si les atteintes aux biens ont globalement diminué, en raison notamment de l’amélioration des systèmes de sécurité et de la généralisation des alarmes et des serrures renforcées, les atteintes aux personnes, en revanche, ont sensiblement augmenté depuis 2002 (+12,45% de 2002 à 2006, période durant laquelle Nicolas Sarkozy a sévi en tant que Ministre de l’Intérieur). Cette augmentation, qui s’est poursuivie depuis, est de nature à influer directement sur le sentiment d’insécurité, lequel est également amplifié par les médias qui donnent la part belle aux faits divers plus ou moins spectaculaires.

Le refus obsessionnel d’envisager les causes sociales et économiques de la délinquance

On entre donc dans un système vicieux où le sentiment d’insécurité devient un argument pour légiférer dans le but de lutter contre des actes de délinquance qui ne baissent pas nécessairement du fait de l’adoption de nouveaux textes de loi. Réprimer la violence n’est pas s’attaquer à ses racines qui, souvent, s’ancrent dans une réalité sociale et économique de plus en plus dure et de plus en plus complexe (exclusion, précarité, ghettoïsation, etc.). Par exemple, à la détresse et à l’exclusion sociales de certains quartiers difficiles, souvent en périphérie des agglomérations, Sarkozy oppose uniquement la « lutte contre les voyous », la « lutte contre les trafics ». Sa rhétorique guerrière masque son absence de perception des causes sociales et économiques de la délinquance. Voici ce qu’il déclarait par exemple en février 2008 lors de sa présentation du plan banlieues :

« Le premier devoir de l’Etat c’est d’assurer la sécurité […] Le premier droit des citoyens c’est le droit de vivre tranquillement sans se trouver sans cesse menacé par des voyous […] Je veux une France qui soit juste, une France qui protège les honnêtes gens, une France qui soit plus sévère vis-à-vis de celui dont la seule idée est d’empoisonner la vie des autres et d’abord celle des habitants des quartiers […] Nous allons mettre fin à la loi des bandes, à la loi du silence, à la loi des trafics, en donnant une nouvelle impulsion aux Groupes d’intervention régionaux (GIR) […] La lutte contre les trafiquants de drogue, les mafieux et les voyous va être engagée sans pitié. »

La restauration de la police de proximité, signe de l’échec de la politique sécuritaire de Sarkozy

Or, réprimer la délinquance et traiter le sentiment d’insécurité ne sont pas la même chose. La répression ne se confond pas avec la prévention. Si la première est une nécessité, elle n’en devient pas pour autant la colonne vertébrale d’une politique intelligente en matière de sécurité. La prévention est tout aussi nécessaire, dans la mesure où elle permet d’orienter la politique de sécurité et l’adapter aux contingences d’une situation donnée (celles d’un quartier, d’une commune, etc.). C’est dans ce sens que la gauche a agi en favorisant, par exemple, une police de proximité qui a largement montré son efficacité. Et c’est justement cette police de proximité que Sarkozy a remise en cause, dès 2002, avant de la remettre en service sans tambours ni trompettes. Quel aveu d’échec !

Une rhétorique guerrière qui cache une fuite en avant

Une exploitation cynique et méthodique du « sentiment d’insécurité »

Dans le domaine de la sécurité et de la lutte contre la délinquance, Sarkozy a constamment mis en avant le « sentiment » au détriment de la « raison », principalement pour des raisons électorales. Sarkozy a donc joué sur le registre de la manipulation cynique des peurs légitimes d’un grand nombre de citoyens. Il doit sa formidable ascension politique en large partie à cette exploitation méthodique des peurs. Chaque fois qu’il est politiquement en danger, il s’y livre. C’est justement ce qu’il vient de faire à nouveau aujourd’hui à Nice en annonçant de nouvelles lois qui sont autant de fuites en avant.

C’est la raison pour laquelle cet homme est une menace pour les libertés publiques.